Eric Khoo : Be with me

dimanche 16 octobre 2005, par Bernard Massip

Film

Laborieusement, sur une machine à écrire d’un autre âge, une femme dactylographie son autobiographie.

C’est ainsi que s’ouvre Be with me un très beau film singapourien d’Eric Khoo.

Trois histoires sans lien apparent se déploient ensuite : un vieil homme tente de garder le contact avec sa femme grande malade (à moins qu’elle ne soit morte et ne vive que dans son fantasme), deux jeunes filles engagent une relation sensuelle dont l’une se détourne très vite au désespoir de l’autre, un homme frustre et disgracieux tombe en extase devant une belle femme inaccessible qu’il observe de loin et à laquelle il tente en vain d’écrire une lettre. Ces trois histoires traitent toutes dans un climat oppressant de désert urbain et malgré des tonalités bien différentes de l’échec de la communication et de la solitude.

Mais revoilà notre autobiographe. C’est une femme sourde et aveugle. On la voit vivre sa vie quotidienne, faire sa cuisine, ses courses, lire en braille, se rendre au centre pour jeunes aveugles où elle est professeur, on entend sa voix qui est une sorte de cri, mots difficilement éructés, parler laborieux à laquelle sa surdité la contraint. En contrepoint, en voix off, on entend le récit tragique de sa vie, tandis que dans ses gestes, à travers ses sourires sans yeux, elle respire l’harmonie et la paix intérieure.

Le vieil homme du début cuisine avec amour, pour sa femme absente puis pour cette femme sourde-muette, avec laquelle il est indirectement en contact par l’intermédiaire de son fils qui traduit l’autobiographie qu’elle est en train de rédiger.

Le film change alors de tonalité. Dans ce monde où les gens se croisent sans se rencontrer, c’est elle, isolée pourtant par ses murs sensoriels qui communique vraiment, elle qui porte la rencontre, elle qui peut écrire au final sur sa vieille machine « be with me, don’t let love fade ».

Et l’on n’est plus ici dans la fiction. Car, et c’est ce qui donne à ce film toute sa force, il mêle les trois histoires fictionnelles avec la vie réelle de cette femme sourde-muette. Theresa Chan en effet existe bel et bien, elle achève son autobiographie, c’est bien sa vie tragique qui est racontée, c’est elle qui joue son propre rôle à l’écran et qui l’irradie de sa douceur et de sa sérénité.