Ervé : Écritures carnassières

vendredi 1er juillet 2022, par Pierre Kobel

Maurice Nadeau, 2022

Quand on vit dans la rue, le temps est long et il faut savoir le tuer. C’est ce que fait Ervé en lisant, beaucoup, en écrivant, beaucoup aussi. Un jour il rencontre Guy Birenbaum lors d’une signature et ils deviennent amis. Très vite le journaliste et écrivain l’encourage à poursuivre son travail d’écriture. Un projet de livre se dessine qui trouvera accueil aux éditions Maurice Nadeau et qui vient d’être publié en avril dernier.

Ervé a cinquante ans et éprouve la nécessité de relater sa vie : « … je me suis regardé. J’ai voulu aller chercher mes souvenirs pour les raconter, les confier aux gens sans jamais dénoncer, sans que jamais, insiste-t-il, ce soit un livre à charge. » Enfant sans parents – « Qu’est-ce que ça fait d’avoir un père ? » –, enfant de la DASS, il grandit dans une enfance maltraitée. Il se retrouve livré à lui-même à l’âge de dix-huit ans sans repères suffisants pour gagner son autonomie. Il devient SDF.

Écritures carnassières, c’est le récit de cette existence au ras du bitume. Suite de textes courts, de textes éclats pour dire les heurts et les malheurs de cet univers de la rue qui use prématurément, qui confronte à la violence, à la misère, à l’alcoolisme. Face à cela, il a le trio que forment ses deux filles, « ses deux poumons », et leur mère. Des amis accueillants, des compagnons, les chiens. L’un d’eux lui donnera l’idée de son pseudo, Croisepattes, sur Twitter. Et quelques voyages comme des échappatoires.

Ervé a une plume qui n’a rien d’exotique. Pas d’anecdotes gratuites, pas d’esbroufe, pas de témoignage larmoyant ou exhibitionniste. Une solide culture d’autodidacte et un vrai style personnel. Si dure que soit son existence, l’écriture lui confère un sens à ce point qu’un autre livre se projette déjà. Dans un billet de blog de Mediapart, Frédéric l’Helgoualch écrit : « L’ouvrage ne se déguste pas : il se dévore, se bouffe. Si les écritures sont carnassières, leur lecture est compulsive. Sauvage. Où se planquait-elle, cette plume irradiante qui renvoie chacun à ses propres peurs et démons (…), mais aussi à la beauté des petits gestes, des regards signifiants ? »

Entre solitude recherchée et empathie pour autrui, entre errance et insécurité, entre les prisons du quotidien, les illusions perdues et les aspirations à la liberté, c’est le parcours d’un homme devenu un authentique écrivain.