Estelle Dumas : Des bombes et des hommes

vendredi 8 janvier 2021, par Bernard Massip

Dessin et couleur de Julie Ricossé
Storyboard Estelle Dumas et Loïc Godart
Futuropolis, 2020

En 1995 Estelle Dumas termine ses études en DUT de logistique sans trop savoir quoi en faire… Elle décide pour prendre le temps, voir plus clair en elle-même et se rendre utile, de partir en mission humanitaire. Elle rejoint l’association Equilibre avec laquelle elle part dans une Yougoslavie en pleine dislocation pour participer à un programme alimentaire de la communauté européenne.
Vingt années plus tard elle revient sur son expérience, en fait un scénario de film, lequel ne trouve pas de producteur. Elle propose alors son histoire à Julie Ricossé et Loïc Godart qui en font une belle bande dessinée Des bombes et des hommes, parue en 2020 aux éditions Futuropolis.

Voici Estelle, désormais prénommée Isabelle, en Bosnie, sous les bombes et la menace des snipers. Voici la « Betty Boop, de Sarajevo » comme on la surnomme en raison de ses tenues peu conventionnelles dans un milieu humanitaire et en situation guerrière où le jean est préféré à la jupette, veillant sur les stocks de nourriture, collaborant avec les cantinières puis participant au premier convoi humanitaire se rendant en octobre 2015 à Goradze, une ville bosniaque, enclavée dans des territoires tenus par les serbes.

La vie quotidienne sur place est décrite avec précision et avec de riches détails qui renforcent la valeur documentaire du récit : la débrouille des habitants pour survivre, des pales artisanales placées dans le fleuve pour générer de l’électricité, le travail au potager pour produire quelques légumes, seulement par temps de brouillard pour éviter les tirs… Estelle/Isabelle y fait de belles rencontres avec des personnes qui resteront des amis par-delà les années : un couple très amoureux mais dont la jeune femme est serbe, ce qui entraîne rejet social et familial, un jeune peintre qui anime en outre des ateliers artistiques pour les enfants, le projectionniste du cinéma, désolé de n’avoir plus de bobines à montrer…

De retour à Sarajevo Estelle/Isabelle se procure des films à la cinémathèque qu’elle transporte lors du second convoi humanitaire auquel elle participe. Et le cinéma de Goratze peut finalement, non sans encombre et en empruntant pour quelques heures le groupe électrogène de l’hôpital, donner une séance devant un public enthousiaste.

Comme l’affirme le sous-titre du récit : « quand les hommes luttent pour leur survie, leur esprit aussi est affamé… »

Les hommes ne vivent pas que de pain. C’est la puissante réaffirmation de ce beau récit. Dans la pénible situation que nous vivons aujourd’hui avec la crise sanitaire - pénible mais cependant oh combien moins tragique que le drame yougoslave - cela ne peut manquer de faire écho en nous, qui pouvons consommer dans tous nos magasins ouverts mais qui ne pouvons pas nous rendre dans les cinémas, les théâtres, les musées, les expositions, dits « non-essentiels », et fermés.