Estelle Lagarde : La Traversée imprévue, adénocarcinome

lundi 25 octobre 2010, par Catherine Lehoux

La Cause des Livres, 2010

Estelle Lagarde a eu un cancer du sein à l’âge de trente-quatre ans. Elle s’est armée de sa plume et de son appareil photo pour faire face à la maladie. Son ouvrage est un journal intime à deux volets, le volet écriture et le volet photographie. Les textes sont courts et efficaces, l’écriture est fluide et les photos sont graves et, pour certaines, mystérieuses. Un instant elle se fait plume sur la page de gauche et dans un autre instant elle se fait photographe sur la page de droite. Qui du texte ou de la photo est le plus explicite ? Le texte complète la photographie et vice-versa.

Cette façon de mettre en scène sa maladie évite au lecteur bien des a priori et déconstruit moult préjugés. Estelle dédramatise et sensibilise, elle nous propose une lecture « nécessaire » et éducative à bien des niveaux. Elle ne « veut ni mentir, ni dramatiser, ni idéaliser. Simplement être juste ».

Au moyen de son appareil photo argentique qui permet de longs temps de pause, Estelle se met en scène, met en scène la maladie sans tabou. Ses photos sont d ’un pur esthétisme, la souffrance se devine et ne s’étale pas, Estelle est belle et lumineuse à toutes les étapes de sa maladie et sa parole est clairvoyante et sans aucun misérabilisme. Ses jeux de lumières sont fulgurants et ne sont pas sans rappeler Le Caravage et son clair-obscur. Elle met en lumière des faits qu’elle ne peut pas maîtriser. Elle apporte du sens à sa maladie. Anticipant le regard des autres au travers de l’objectif de son appareil photo, parfois elle se met en scène comme un fantôme qui hante les espaces vides, elle part à sa propre recherche ou à la recherche des réponses que lui donneraient d’autres « lieux de son être ».

En utilisant ses compétences artistiques et en rédigeant ce journal intime, Estelle s’est faite actrice de ce sombre morceau d ’histoire. Être acteur de ce qui nous blesse aide à prendre la distance nécessaire pour se battre et rester debout. Cette jeune femme s’est approprié sa maladie en la mettant en mots et en image, apprivoisant ainsi l’ennemi intime et le mettant à distance. Par la photographie, Estelle s ’est éloignée de son corps pour mieux s’en rapprocher. L’objectif a donc été un véritable médiateur entre elle et elle-même mais aussi entre elle-même et le futur lecteur. Se photographiant la plupart du temps nue ou dévêtue, elle a su attirer l’attention sans nuire à son intériorité et c’est en cela que réside aussi le véritable défi de son entreprise. Cet « objet d’art » que représente ce journal intime à deux volets pourrait bien nous interpeller sur le poids du courage et sur les ressources de la vie dans les combats qui nous menacent.