Etienne Davodeau : Les ignorants

jeudi 23 août 2012, par Bernard Massip

Futuropolis, 2011

L’auteur de bande dessinée Etienne Davodeau (voir, plus haut dans ces chroniques, celle que nous avions consacrée aux « Mauvaises gens ») est aussi un amoureux du vin. Pour connaître de l’intérieur ce monde qui le fascine et pour le faire connaître, il a eu l’idée de participer pendant un an au travail d’un de ses amis, Richard Leroy, viticulteur à Montbenault dans le Maine et Loire et de faire du récit au plus près de son expérience le thème d’un album. En échange il s’est proposé d’initier le viticulteur aux arcanes du monde de la bande dessinée, depuis la conception d’un projet jusqu’à sa réalisation concrète chez un éditeur.

Davodeau donne les ressentis au jour le jour des deux compères face à la découverte réciproque de leurs mondes respectifs, de l’étonnement, voire de l’incompréhension, jusqu’à l’admiration. Il entrelace ces éléments subjectifs avec des descriptions détaillées faites avec un grand souci documentaire. On suit au plus près les diverses opérations de l’année vigneronne chez Richard Leroy, de la taille au traitement en biodynamie, du choix des barriques à l’ébourgeonnage, des vendanges à la vinification et à la commercialisation. On assiste par ailleurs à l’élaboration concrète d’un album de bandes dessinées de la table du dessinateur jusque chez l’imprimeur en passant par les séances de travail chez l’éditeur. Le viticulteur se gorge de lecture de bandes dessinées tandis que le dessinateur s’initie à l’art de la dégustation. Ensemble ils fréquentent foires aux vins et festivals de BD.

Pour élargir le panorama, pour découvrir d’autres façons de faire, nos deux amis vont à la rencontre de beaucoup d’autres : ils vont visiter des viticulteurs amis, dans le Jura comme en Corse, ils échangent avec d’autres créateurs, spécialement avec Jean-Pierre Gibrat et avec Emmanuel Guibert. Ce dernier est l’auteur du magnifique récit « Le photographe » qui suivait en trois volumes le parcours du photographe Didier Lefevbre au cœur des combats de la guerre d’Afghanistan. Et le pont entre les deux mondes ici s’effectue encore mieux puisqu’ils peuvent ensuite aller rencontrer deux des Médecins du Monde qui apparaissaient dans « Le photographe » et qui se sont reconvertis depuis dans la viticulture sur un beau domaine de Pécharmant.

Chacun est l’ignorant de l’autre mais peut apprendre de lui. Telle est la morale de ce beau récit. Ce sont des rencontres avec l’autre que se construisent les trajectoires individuelles et les histoires de vie, comme en attestent les itinéraires des deux médecins comme d’ailleurs celui de Richard Leroy lui-même qui nous est donné en fin d’album : il était cadre bancaire avant d’acquérir sa vigne, lui aussi était un ignorant.

Une savoureuse page « bu, lu » conclut l’album : y sont données les références des vins et des albums dégustés et commentés par les compères pendant leur sympathique initiation croisée.