Fatima Daas : La petite dernière

dimanche 17 octobre 2021, par Bernard Massip

Editions Notabilia, 2020 et Le livre de poche, 2020

C’est un roman, nous dit Fatima Daas, ou celle, plutôt, qui se cache derrière ce pseudonyme. L’auteure en effet a ressenti la nécessité de se protéger, comme de protéger les siens en introduisant une certaine distance par le biais d’éléments fictionnels.

Mais la source autobiographique du livre est très puissante et les ressentis, les sentiments, les contradictions au cœur d’elle-même sont bien celles de l’auteure, même si le vécu factuel et les événements peuvent avoir été en partie différents.
Le livre se déploie en de nombreux courts chapitres, fait de phrases également courtes, très rythmées, chacun d’entre eux s’ouvrant sur une proclamation : « je m’appelle Fatima » ou « je m’appelle Fatima Daas ». Ainsi le texte apparaît un peu comme un slam ou, qui sait, peut-être, comme une prière.

Ces invocations répétées marquent que c’est bien Fatima et sa recherche d’elle-même qui sont le cœur du livre, chaque chapitre construisant peu à peu son portrait, creusant son identité dans ses dimensions diverses et parfois contradictoires.

Elle parle souvent depuis le RER qui la conduit de sa lointaine banlieue vers l’hypokhâgne puis les universités parisiennes où elle étudie : « je porte le nom d’une Clichoise qui passe plus de trois heures par jour dans les transports ». Elle y observe les voyageurs et réfléchit sur elle-même. Elle y ressent puissamment le sentiment d’être une personne qui est en permanence en marge, à côté, géographiquement, socialement et dans son identité profonde.

Elle est la « mazoziya », la petite dernière, la troisième fille, l’attente déçue de son père qui espérait un garçon. Il l’appelle « wlidi », mon petit fils et non « benti », ma fille : est-ce de cela que lui vient son côté garçonne ?

Elle est la collégienne brillante mais difficile, instable, bagarreuse, plus d’une fois exclue et que perturbe ses problèmes respiratoires d’asthmatique.

Elle est la jeune femme qui aime les femmes et qui, après une certaine résistance, ne se dérobe plus à ses désirs, fréquente le milieu lesbien, multiplie les aventures avant de rencontrer Nina, un amour qui la subjugue mais qui se refuse.

Elle est la musulmane pratiquante, qui porte le nom de Fatima, la plus jeune fille du prophète, un nom auquel il faut faire honneur, un symbole de pureté. Fatima porte bien son nom si elle ne salit pas mais, elle, ne salit-elle pas ? La honte l’envahit parfois, elle se sent pêcheresse. Elle s’interroge, elle prie avec ferveur, étudie les textes, rencontre des docteurs de la foi.

Elle est la Française qui voyage en Algérie, y rencontre ses grands-mères et ses tantes, elle est au cœur des rencontres familiales, elle, la mazoziya , que l’on adule, elle se régale de l’ambiance et de la bonne chaleur algérienne qu’elle voudrait pouvoir ramener à Paris.

Quelle mosaïque ! Une richesse certainement que ces identités multiples mais aussi une source de souffrances, plus particulièrement cette contradiction qu’elle ressent entre sa foi musulmane et sa vie amoureuse lesbienne. Et c’est alors la littérature, le travail de mise en forme romanesque, qui lui permet de sortir par le haut de ses contradictions. Comme le dit Virginie Despentes : « ici l’écriture cherche à inventer l’impossible : comment danser dans une impasse jusqu’à ouvrir une porte, là où se dressait un mur ».