Fils de l’(H)histoire

jeudi 1er juin 2017, par Christian Lejosne

7ème séminaire annuel du diplôme universitaire d’animateur d’ateliers d’écriture (DUAAE) co-organisé par l’Université Paul Valéry Montpellier 3 et la Boutique d’écriture de Montpellier

Marie Bourjea, la responsable du DU, ouvre la séance en décryptant l’intitulé du séminaire : "Fils de l’(H)histoire est porteur de deux ambiguïtés. D’abord, « fils » peut se comprendre de deux façons que seule la prononciation permet de distinguer : au singulier, cela pourrait signifier dans un cas « fil de l’Histoire », et dans l’autre « fils de l’Histoire ». La seconde ambiguïté porte sur la façon d’écrire l’(H)histoire, avec un grand ou un petit « h »".

L’intervention de Juliette Massat, professeur de Lettres et d’Histoire et animatrice d’ateliers d’écriture vient compléter ce tableau. En préambule, elle pose ces deux affirmations : "on raconte des histoires, mais on entre dans l’Histoire." Saisissez la nuance ! "Quelle est la réalité des petites histoires au regard de l’Histoire ?" questionne-t-elle. "La différence de lettre (minuscule ou majuscule) exprime-t-elle une différence de fond ? Autrement dit, les petites lettres (que les humains s’écrivent et qui constituent aujourd’hui une part des Archives), ne sont-elles pas une autre façon d’écrire l’Histoire ? L’Histoire s’attache au passé mais s’écrit au présent." Juliette Massat termine son intervention par "la langue appartient à tout le monde ; l’Histoire également. L’Histoire est une reconstruction. Elle est écriture. Mais qui l’écrit ?"

Ali Zamir est un auteur comorien. Les éditions du Tripode ont publié en 2016, Anguille sous roche qui a reçu le Prix Senghor. Ce roman relate la situation d’une jeune comorienne en route pour l’émigration vers Mayotte. Tombée à la mer, elle repense à sa vie, à ses proches. Stéphane Page, animateur d’ateliers d’écriture, résume ainsi le livre : "une longue phrase de 320 pages, sans point, uniquement ponctuée de virgules, telle une urgence à dire avant qu’il ne soit trop tard. Un monologue polyphonique mêlant les genres : récit, poésie, théâtre. Ali Zamir dit avoir écrit ce livre pour rendre hommage à tous les migrants du monde, pour donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. La grande Histoire oublie les petites histoires, celles des victimes qui disparaissent dans le silence."

Odette Martinez (maître de conférence en études ibériques) et Alfons Cervera (journaliste, écrivain, auteur de romans centrés sur la thématique du souvenir de la guerre d’Espagne) sont venus dire l’importance des écrits personnels dans la construction du passé et des identités, en tant que contre-point indispensables aux discours officiels de la dictature franquiste. Selon Odette Martinez, "ces écrits portent plusieurs enjeux : enjeu d’attestation pour laisser trace de ces vies minuscules (pour paraphraser Pierre Michon), enjeu de réparation, enjeu politique (prendre sa part dans le partage des images et des mots qui façonnent l’espace public)". En conclusion, Alfons Cervera rappela ces mots de Primo Levi : "Se souvenir est un devoir."

Yahia Belaskri est un romancier, nouvelliste et essayiste, né à Oran. Il a quitté l’Algérie après les émeutes de 1988 pour venir s’installer en France. Selon lui, "la Grande Histoire est faite par les vainqueurs." Il se dit "fils de l’humiliation et du tumulte" et conçoit son rôle d’écrivain "pour pervertir l’Histoire". Il écrit en français (je suis français depuis 1830 précise-t-il) et dit "être venu à la littérature grâce à sa mère. Quand ma mère est morte, j’ai écrit mon premier texte. Cette mère qui m’a fait naître deux fois !" Il dit "écrire pour faire reculer l’obscurité". Et la chaleur de cette dernière phrase est une enrichissante synthèse de cette journée d’étude.