Francesca Pollock : Mon Pollock de père

vendredi 20 mai 2022, par Elisabeth Gillet-Perrot

Editions de l’Atelier contemporain, Strasbourg, 2022

J’ai été très touchée par le dialogue qu’entretient Francesca Pollock avec son père Charles Pollock, taiseux au-delà de la mort.

Charles, également peintre, était le frère aîné de Jackson avec lequel il n’a jamais essayé de se mettre en compétition. Parti de New-York pour passer une année à Paris, Charles s’y est installé et n’en n’est jamais reparti. Pendant 20 ans, après la mort du peintre, Sylvia, sa veuve et Francesca, leur fille, ont gardé peintures, dessins et courriers pour réécrire l’histoire de ce peintre de talent afin qu’il ne soit pas que « le frère de... ». Dans ses carnets d’adresses, on trouve les numéros de téléphone de Mark Rothko, Robert Motherwell, Helen Frankenthaler et de tant d’autres…

Quand Francesca s’adresse à son père, par-delà la mort, ses textes sont en italique ce qui souligne qu’on passe d’un monde à l’autre. Elle a été touchée de lire que la fille d’Albert Goscinny confiait que s’agissant de l’œuvre de son père, elle avait « l’oreille absolue », une oreille que Francesca n’a pas eu tout de suite mais que la lecture des échanges épistolaires des deux frères lui a permis d’affiner.

En 2015, une exposition devant se tenir à Venise, à la Fondation Peggy Guggenheim. On propose à Sylvia et Francesca de montrer des œuvres de Charles en même temps qu’un mural de Jackson, ce qu’elles acceptent avec plaisir. Francesca raconte alors qu’en descendant du bateau-taxi, elle glisse sur la mousse et tombe dans le canal, ce dont elle aura du mal à se remettre physiquement et psychologiquement. Elle se sent humiliée et se demande si c’est ce que son père a ressenti si souvent : « Est-ce cela que tu as vécu ? Tu comprends, toi, pourquoi je suis tombée ? Avais-tu envie d’être exposé là, aux côtés de Jackson ? Te sentais-tu écrasé si près de son gigantisme ? »

Charles écrit en 1976 : « Hélas, je n’ai toujours pas trouvé comment montrer mon travail dans l’atmosphère qui lui convient. Il faut apprendre tôt ces choses-là. Ce n’est pas mon cas ».

En préambule du livre, Francesca se demande comment remercier Maurice Benhamou qui écrit : « En vérité, c’est peut-être dans la radicalisation des deux artistes que la connivence apparaît. Ils se sont délibérément partagé le territoire de la peinture. La consistance, la densité, la fixité, l’énergie, ce que l’on pourrait appeler la « temporalité de la peinture », cela devient l’affaire de Charles…. La fluidité, l’étirement, le dynamisme, le vertige, c’est-à-dire « l’espace de la peinture », la part de Jackson. » Car dès la fin des années 40, les œuvres de Charles sont inspirées par la calligraphie et, par ce biais, « il entre en abstraction » comme on entre en religion. Charles a d’ailleurs parallèlement à son oeuvre mené une carrière de professeur de calligraphie.

Ce très beau livre présente une cinquantaine de photos de tableaux qui donnent envie d’aller voir l’exposition qui lui est consacrée du 20 mai au 18 septembre 2022 au FRAC Auvergne à Clermont-Ferrand, .