François Bon : Autobiographie des objets

mardi 16 octobre 2012, par Bernard Massip

Seuil, 2012

C’est sous la forme de chroniques publiées sur son site Le Tiers Livre que François Bon est parti à la recherche des objets qui ont marqué son enfance et son adolescence, dans les années 60, entre Vendée et Poitou. De cette sorte d’atelier d’écriture personnel à partir d’une liste dont il biffait les occurrences au fur et à mesure qu’il écrivait mais qu’il enrichissait sans cesse par association d’idées, il a finalement fait un livre publié cet été aux éditions du Seuil.

Il y convoque des objets de tous ordres, du litre à moules à la machine à écrire, de la toise à la photo de classe, du premier livre aux pantalons pattes d’éléphant, des escaliers dans la maison à la vitrine du coiffeur Barré, de la machine à laver aux panonceaux publicitaires de la marque Citroën…

L’auteur musarde d’objet en objet, il fait remonter les souvenirs personnels et familiaux qui s’attachent à chacun eux, dessine avec tendresse les personnes aimées liées à ces objets mais il ne se prive pas non plus de réfléchir à ce que la disparition des uns, le surgissement des autres, disent de la transformation de la société, de l’irruption de la modernité au profond de la campagne française.

Au delà de ces évocations zigzagantes il affirme cependant un projet pleinement autobiographique. Il ne s’agit pas de s’intéresser aux objets pour eux-mêmes mais plutôt de se pencher « sur leur rémanence au travers d’un parcours personnel », « sur ce qu’ils faisaient franchir intérieurement dans l’autobiographie à conquérir ». Plus donc qu’une autobiographie des objets c’est bien d’une autobiographie par les objets dont il faudrait parler.

Ainsi transparait bien ce qu’il doit, lui personnellement, à ses « deux côtés », le côté de Saint-Michel en l’Herm (la famille paternelle, les mécaniciens et garagistes, les objets techniques), le côté de Damvix (le grand père maternel instituteur et herboriste, les livres, la flore Bonnier). C’est de là que s’initie son parcours double, formation technique et d’ingénieur puis basculement dans les mots et la littérature. Les premières lunettes sont, pour le grand myope qu’il est, un « évènement considérable » lui faisant prendre conscience que « ce que l’on voit n’est pas le réel ». Les objets de la modernité, comme le transistor, ouvrent l’adolescent sur un monde musical résolument neuf pour lequel il se passionne durablement.

Mais les livres comptent plus que tout, même si pendant quelques années leur fréquentation s’est interrompue. C’est que les livres et les mots permettent finalement une « prise du monde » plus adaptée à quelqu’un que sa myopie handicape et qui se ressent comme malhabile dans la pratique manuelle. Il consomme tout, les livres d’enfants comme les dictionnaires, avant de tomber dans « l’armoire aux livres » du grand-père de Damvix, d’être marqué à jamais par la découverte d’un « livre minuscule mais très doux dans sa couverture toilée : Le Scarabée d’or d’Edgar Poe », avant d’emprunter et de dévorer le Balzac complet, noble sous sa reliure de cuir. Ce n’est certes pas un hasard si l’itinéraire proposé parmi les objets se termine avec cette « armoire aux livres », comme si tout y conduisait. Mais y revenir c’est aussi passer par-dessus un mort, ce grand-père aimé, dont on comprend ainsi, au travers de cette pudique évocation, qu’il est une personne qui a particulièrement compté dans la construction de l’itinéraire de François Bon.

Les contraintes de son contrat d’édition font que les textes du livre ne sont plus sur le site du Tiers Livre. On y trouvera cependant nombre de compléments, textes non retenus dans le livre, ajouts après la parution, interventions extérieures de quelques amis d’enfance donnant leurs propres échos de moments partagés, enfin et surtout de nombreuses photographies des objets et des personnes évoquées. Il s’agit « de faire respirer ensemble le livre papier et le web » ce qui ne surprendra pas de la part de ce chantre de la littérature en ligne qu’est François Bon.