François Debluë : D’un autre regard

lundi 14 mai 2018, par André Durussel

Éditions d’Orzens, 2018
Avec des gravures de Marie-Claude Faillettaz-Gardel

Dans un très récent recueil publié sous le titre D’un autre regard, l’écrivain, essayiste et poète suisse d’expression française François Debluë propose à ses lectrices et lecteurs trois "méditations" qui, sans en avoir l’air, nous entraînent au cœur même du mystère de l’expression artistique et littéraire. La première évoque ce que l’auteur doit au regard des autres, et à celui des peintres et graveurs en particulier. Partant des peintres flamands, il interroge les portraits et autoportraits de Rembrandt, puis certaines œuvres du dessinateur et graveur lorrain Jacques Callot réalisées durant la Guerre de Trente ans, celles du peintre Francisco de Goya, ainsi que des gravures, eaux-fortes et aquarelles de Gérard de Palézieux (1919-2012).

La deuxième méditation est celle qui intéressera plus particulièrement les membres de la grande famille de l’APA. Rarement, en effet, la densité poétique des lignes et des propos de François Debluë se trouve ainsi l’alliée et la complice de l’autobiographie. Si "lire est un privilège" et à la fois une liberté, cet engagement incomparable nous plonge dans une sorte de contemporanéité avec les auteurs que nous lisons, morts depuis longtemps ou non. Leur présence non seulement s’anime, mais ce"compagnonnage intime" qui, chez François Debluë, va de Baudelaire à Ronsard, à Edgar Poe, Thomas de Quincey ou Pétrus Borel et jusqu’à Proust, nous pousse dans un vertigineux corps à corps avec le temps qui passe. Il évoque aussi de quelle manière, d’un poème inabouti ou avorté, le poète va apprendre à se consoler, tout en précisant à la page suivant :

"Écrire : aggraver son cas".

Il s’agit bien là d’une autre forme de corps à corps. Avec la lecture, nous sommes placés à l’intersection où se croisent et s’enchevêtrent tous les livres et les êtres qui nous accompagnent encore ou qui nous ont accompagnés autrefois, mais aussi et surtout au carrefour des temps de notre propre vie, celle qui ne se laisse pas découper en tranches. Cela se nomme précisément l’autobiographie, avec, effectivement, "un autre regard".

Dans la troisième et dernière méditation, il cite même Philippe Forest lorsqu’il déclare que : "la matière du roman est toujours autobiographique". Il règle ainsi ses comptes avec ce "Moi, je" dont il se méfie. Il préfère écrire à la troisième personne du singulier, et ce n’est pas sans raison qu’il cite à ce sujet Philippe Lejeune, parce que cette troisième personne, selon François Debluë, n’est "tenue par aucun pacte".