Françoise Cloarec : De père légalement inconnu

jeudi 12 juin 2014, par Geneviève Mazeau

Phébus, 2014

En 1955, après la défaite de Dien Bien Phu, la France retira ses forces armées de l’actuel Vietnam, mais aussi rapatria les enfants nés de militaires français et d’Indochinoises, déclarés de « père légalement inconnu, présumé français ». Près de 5000 enfants.

Les mères furent séparées de leurs enfants, lesquels furent d’abord placés en internat avant d’être envoyés en France pour être éduqués à la française dans des institutions religieuses. Les liens avec le pays comme avec leur mère furent définitivement rompus, mais les liens avec les familles paternelles ne furent pas favorisés non plus, car ces enfants n’étaient pas reconnus. Ils devenaient des orphelins alors qu’ils avaient des parents.

Françoise Cloarec nous raconte dans ce récit, court et intense, l’histoire de ces enfants eurasiens à travers l’histoire de Camille. A soixante ans, Camille continue de chercher l’identité de son père qui ne lui a jamais été révélée. Elle veut mettre un nom, un visage sur celui qui est resté dans l’ombre, tout en veillant sur son éducation. L’auteure, peintre et psychanalyste, sait dire avec les mots justes et en touches délicates cette quête et les émotions qui habitent Camille. Elle nous dresse aussi un tableau tout en nuances de ces soldats français, conditionnés par des illusions de colonisation civilisatrice qui découvrent un pays et des gens aux mœurs raffinées.

Ce livre fait écho à une thèse écrite par Emmanuelle Saada, publiée sous le titre Les enfants de la colonie. Les métis de l’empire français entre sujétion et citoyenneté . La chercheuse explique que le colonisateur avait une haute idée de la France et se considérait comme supérieur et dominant. Les enfants issus d’une liaison entre un Français et une « indigène » représentaient un désordre. Ils étaient des métis. Né hors des liens du mariage, le métis était à la fois un hybride et un bâtard. Ces enfants métis brouillaient les frontières entre Orient et Occident, entre dominés et dominants. Le mélange était inconcevable. Le métissage constituait une indétermination et une menace pour le colonisateur et l ordre colonial.

On a traité de la colonisation souvent sous l’angle de la violence, de la guerre, des exactions. Mais à côté de la violence fondamentale du rapport colonial qui partout a été d’abord une spoliation, la « question des métis » fait entrevoir d’autres espaces de domination plus intimes. Elle pointe l’importance de la sexualité, des rapports de genres, de races mais aussi de l’organisation domestique dans les rapports de pouvoir aux colonies. Les sphères intimes et politiques sont imbriquées.

Françoise Cloarec nous fait appréhender le drame intime de ces enfants métis, coupés de leurs racines, victimes d’un double déni qui les amputait d’une mémoire familiale et d’une mémoire collective.