Fred Deux : La Gana

dimanche 18 novembre 2018, par Martine Bousquet

Éditions Le temps qu’il fait, 2011

La Gana est un livre autobiographique de Fred Deux, écrivain et artiste graveur, décédé en 2015. Il l’a écrit en 1958, quand il avait 34 ans, il couvre la période du début de son adolescence, entre ses 10 et ses 14 ans (le livre a été initalement publié sous le pseudonyme de Jean Douassot). C’est un livre culte qui ne ressemble à rien de connu, un livre envoutant de 850 pages qu’on ne parvient pas à lâcher et qu’on a du mal à oublier.

On est entraîné dans un flux où se mêlent présent et passé, rêve et réalité, récits et dialogues, questions et analyses. C’est un monde de misère décrit sans misérabilisme et avec lucidité, un monde de mensonges, de lâchetés peut-être, mais aussi d’amour. C’est le récit d’un enfant vivant entre les deux guerres, à Paris, dans une cave insalubre sans fenêtre où, certains hivers, l’eau remonte des égouts sous la table de la cuisine et fait fuir les rats...

Toute la famille vit là, le père alcoolique qui s’occupe de l’immeuble, la mère malade, commerçante, et la grand-mère maternelle, laveuse. L’oncle paternel, lui, vit dans une soupente à l’étage. Le gosse raconte sa vie dans le langage de son milieu : la fauche du père et de l’oncle, les fêtes de familles, les victuailles, les odeurs, les inondations dans sa cave, ses difficultés à dormir, ses délires au gré de ses fièvres, ses rêves, ses expériences sexuelles avec « la Perny », une locataire de l’immeuble, avec sa « poule », une gamine de son âge, dans les terrains vagues, la vie des habitants de son immeuble ou de ceux qu’il côtoie dans les bistrots où il va souvent chercher son père ivre mort ; la vie de sa grand mère paternelle qui fait le tapin, l’école où il va de temps en temps mais qu’il n’aime pas, ses petits boulots, son séjour au sanatorium, mais surtout ses relations avec son oncle paternel que tout le monde dit fou, mais qui lui apprend à survivre et qui se suicidera à 35 ans, ce qui l’affecte énormément. Dans ce monde, il est beaucoup question de tout ce qui est organique, d’odeurs, de sexe, de victuailles, de maladies, de mort.

Le gosse côtoie l’alcoolisme, la délinquance, l’insalubrité, la maladie de sa mère, et la sienne qui l’envoie au sanatorium. Dans cette planète que nous pensions connaître le monde se réduit à ses soubassements sexuels et organiques.

Dans sa préface, Maurice Nadeau, qui a publié le livre en 1958, dit que « l’auteur s’est laissé mener par l’enfant qu’il a sans doute été et c’est pourquoi La Gana baigne toute entière dans cette poésie cruelle et violente qui est celle de l’enfance aux prises avec des mystères trop grands pour lui. Cette poésie transforme le sordide en œuvre d’art. Elle permet de substituer au dégoût ou à l’apitoiement facile la révolte. Elle entraîne un ouvrage qui aurait pu n’être que remarquable, et en marge, dans les grandes eaux d’une littérature qui aide à vivre. »

Voir la présentation et un extrait sur le site de l’éditeur

On trouvera également dans La Faute à Rousseau n° 65, p.61-63, une analyse de ce livre l’intégrant dans la production autobiographique plus large, écrite, parlée et dessinée de Fred Deux.