Frédérique Bruyas : le métier de lire à voix haute

mercredi 3 janvier 2018, par Christine Caille

Magellan et Compagnie, 2014

Dans cet ouvrage passionnant, Frédérique Bruyas nous explique comment utiliser sa voix pour pouvoir pratiquer le métier de lire à voix haute ou mettre en voix les « paroles écrites ». Elle nous fait entrer dans un corps à corps avec le texte qui doit se déplier, se déployer dans l’espace. Elle a besoin tout autant d’un enracinement dans le sol que de l’attention du regard qui la porte au loin. Au départ, elle ne comprend rien et décide de partir à l’aventure avec une grande lenteur et un 6° sens permettant une incorporation de la matière littéraire et sa mise à distance par l’écoute.

Chaque texte l’appelle et lui permet de circuler à l’intérieur pour en sentir le mouvement. La voix va pouvoir rendre cette matière vivante. Elle porte une confiance en l’écriture et le désir de dialoguer avec la pensée d’un autre qui lui permet d’être dans l’oubli de soi et d’accéder ainsi à une certaine liberté. Il existe une relation entre l’écoute de sa voix et la vision qu’elle déclenche. Le public lui apporte le silence de l’écoute lui permettant d’entendre à nouveau sa parole.

Dans un premier temps, l’oralité va l’éloigner de sa fusion avec le texte et lui permettre de trouver le geste instrumental pour rendre le son qui est intérieur. Un décryptage est nécessaire pour que le dedans et le dehors coïncident avec ce que la page donne à voir. Comme un instrument, la voix permet de rendre compte des conquêtes de la pensée par une exploration du timbre, de la mélodie et de ce qui se passe à l’intérieur du corps. Un certain triangle va passer « de la main de l’auteur à la bouche du lecteur à l’oreille de l’auditeur ». Ce qui est inscrit va devenir écriture vocale et elle apprécie cette parole adressée, singulière, musicale, transmise le livre en main.

C’est dans l’espace de l’écoute que la voix va dessiner le mouvement de la phrase. Une technique vocale sûre, une maîtrise des registres de la voix, du phrasé dynamique et de l’articulation seront nécessaires. Le parti pris sonore d’une lecture doit rester pluriel pour maintenir le désir d’intéresser l’oreille. De la même façon, elle apprécie les écrivains qui ne cherchent pas à expliquer le monde mais à l’exprimer. Le texte permet au réel de se déplacer sur la scène de la pensée et c’est donc la pensée en langue écrite qui va se donner à l’écoute.

Frédérique va essayer de comprendre la matière sonore du texte pour entrer dans une première intelligence et toucher ainsi le sens du texte. Elle éprouve le besoin de pénétrer dans une écriture pour la sentir avant même de la voir : du dedans vers le dehors. Elle n’a pas besoin de la mémoire et ne peut être touchée par une écriture que dans le geste de la lire. C’est organiquement qu’elle va sentir son énergie avant d’avoir la sensation de libérer l’espace de la page. Elle aime ce chemin qui va de l’œil à la bouche, sans illusion d’une parole apprise. Elle peut ainsi passer du visible de l’écrit à l’invisible du sens des mots. Comme un rite de passage, le livre permet à la matière écrite de devenir matière sonore avec un public qui va donner une dimension rituelle et sacrée.

La lecture à voix haute est comme l’art du funambule avec un équilibre entre la verticalité du corps et l’horizontalité du texte dans le livre. Elle dépose le texte dans l’espace et le voit un temps suspendu entre le public et elle. C’est un exercice de lenteur, de disparition et un moment de grande conscience avec une présence à soi unique où le corps et l’esprit sont engagés à chaque instant.

Avec la musique, la lecture permet un imaginaire augmenté. Toutes les contributions des arts ouvrent des portes, des possibles à l’intérieur même des textes. Avec un travail en profondeur, la lecture à voix haute ouvre un champ inépuisable d’expériences humaine.

(Un article qui fait écho à une pratique développée notamment par des membres du groupe de Toulouse pour produire tous les ans une lecture publique à partir de textes de l’APA, belle façon de valoriser notre fonds. )