Gérard Garouste : L’intranquille, autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou

jeudi 22 septembre 2022, par Elisabeth Gillet-Perrot

Avec Judith Pérignon
Réédition, Livre de poche, 2022

La grande exposition en cours au centre Pompidou, ainsi que la nouvelle édition du livre m’ont donné envie de me repencher sur ce texte poignant.

Le jeune Gérard a détesté son père antisémite et violent, notamment envers sa femme. « Ah bon, tu étais heureux, tu aurais dû nous le dire...Tu ne te rappelles pas le flingue sur la table, parce que maman tenait mal la cruche ? » « Tu inventes… »
Ce père tenait un magasin, Garouste Père et fils, Ameublement-décoration-installation, sis au 152 Bd Voltaire Paris XIe. Il aurait sans doute souhaité que Gérard travaille avec lui, voire prenne la relève.
L’enfant n’était pas bon en classe, le père l’emmena consulter un médecin qui lui demanda s’il voulait partir en pension. Gérard en fut d’accord. Là-bas il se sentira à l’abri du danger que représentait pour lui la violence physique et verbale du père. Il nous raconte :« Mon premier abri fut sans doute le cerisier du jardin de Bourg-la-Reine » puis « mon vrai refuge fut la Bourgogne où j’allais passer les vacances scolaires ».
Il est ensuite passé d’école privée en école privée, chez les Jésuites d’abord, où les professeurs disaient de lui qu’il était très intelligent mais très distrait, puis à l’Ecole du Montcel où il passa dix années d’adolescence, « un collège peuplé d’enfants oubliés ».
Parmi ses condisciples, Jean-Michel Ribes, le futur dramaturge et metteur en scène, l’écrivain Patrick Modiano, Francis Charhon, fondateur avec d’autres de Médecins sans frontières…
Gérard peint les visages de ses amis dans certaines de ses toiles, ainsi celle qu’il intitule Leurs têtes d’intellectuels pas dupes entre l’âne et le figuier de la Bible.
Il écrit : « j’ai lu Duchamp comme on prend une douche froide, la peinture était selon lui passéiste, il fallait l’abandonner ». Alors, il croit l’abandonner, il se met au théâtre mais il dessine les décors de Jean-Michel Ribes.

Pour survivre et gagner un peu d’argent, il devient pendant un temps le coursier de son père. « J’y crois pas à ta peinture » lui lance alors son géniteur ! Il se souvient avoir dit à son psychanalyste qu’il en avait marre de l’élégance et de la bonne peinture. « Faites de la peinture laide », lui a dit ce dernier !

En contrepoint sans doute de l’antisémitisme du père, Gérard est fasciné par la religion juive, il apprend même l’hébreu. Il se trouve que c’est aussi la religion de son épouse Elisabeth, mère de ses deux fils. Tout au long du livre, il lui rend hommage, elle qui toujours l’encourage, le soutient dans ses moments de désespoir et de folie. « Ma dépression a duré dix années. J’étais convaincu que j’étais fou ».

C’est grâce à la confiance exceptionnelle que le galeriste Leo Castelli a eue dans son art qu’il a pu vraiment se lancer et être reconnu du grand public. Après l’exposition de New-York en 1983 où toutes les toiles furent vendues, Leo lui en obtint une autre à Dusseldorf. Gérard lui explique ne pouvoir fournir d’autres toiles, alors Leo envoie les toiles vendues et les fait accrocher avec un point rouge ! Une attitude qui contraste avec celle du directeur du musée du centre Pompidou de l’époque, qui, lors du premier vernissage à New York, a fait le déplacement pour dire qu’il n’aimait pas cette peinture et qu’elle ne représentait en rien l‘art français !

On pourra également lire ici à propos de ce texte la recension qu’en avait effectuée Anne Poiré-Gualino en 2010