Gilles Clément : Je chemine avec Gilles Clément

mardi 9 mars 2021, par Elisabeth Gillet-Perrot

Entretiens menés par Sophie Lhuillier
éditions du Seuil, 2020

Dans ces entretiens menés par Sophie Lhuillier, je redécouvre un Gilles Clément invariant sur les valeurs qu’il a choisies dès son plus jeune âge. En quittant « La Grange », maison de ses parents pour Oran où la famille va vivre quand il a 6 ans, il sait déjà ce qu’il ne veut pas faire.

Il s’est toujours déclaré jardinier plutôt que paysagiste et dès la présentation, on trouve les trois concepts qu’il invente :
 Le jardin en mouvement
 Le jardin Planétaire
 Le tiers-paysage sur un principe de base très simple : « Faire le plus possible avec, le moins possible contre la nature, les énergies, la vie ».
Tout en parcourant ces entretiens, me reviennent en mémoire des passages de sa Leçon inaugurale au Collège de France : « Je parle de jardiniers et non de
paysagistes... le jardinier crée un paysage... mais avant tout, il s’occupe du vivant. »

« Finalement, j’ai exploré deux pistes, écrit-il : l’émerveillement lorsqu’on observe les insectes, on est dans l’étonnement, et le faire parce que fabriquer de ses mains m’a toujours paru très important ». Il évoque son travail de professeur, de paysagiste, d’écrivain, de dessinateur. « Le mot compétitivité qui se bégaie est abominable … on devrait le rayer de la carte des mots »… Comme le père de Gilles Clément ne comprend pas son fils, leur relation ne s’arrangera que très tard dans leurs vies. Sa mère avait un atelier de broderie à Paris mais le père étant négociant en vins, la famille a dû partir en Algérie où en débarquant à 6 ans, Gilles s’est dit : « On va habiter là ? Mais, il n’y a pas de vert ! » Il en reviendra tout seul à 9 ans : « Tu es un homme, vas-y ». Pendant ce séjour algérien, Gilles a choisi le mutisme (qui inquiéta beaucoup sa mère) plutôt que de devoir affronter les certitudes des adultes « pourquoi aurait-il fallu penser que les Arabes étaient moins bien que nous ? » Ses grands-parents lui ont donné l’édition originale des Souvenirs entomologiques de Favre, édition qu’il chérit toujours.

Il raconte ensuite deux années de coopération au Nicaragua, sauvé du service militaire pour cause d’astigmatisme ! Par deux fois, il a failli perdre la vie : d’abord à cause de la typhoïde, ensuite d’un coup de couteau sur une plage de Colombie. Une fois de retour en France, il évoque ses différentes formes de travail : commandes publiques et privées avec des détails révélant le caractère hypersensible de quelqu’un qui supporte mal l’injustice. Interrogé sur sa position vis à vis des Verts et de l’écologie, il répond que c’est en 1974 qu’il vote pour la première fois car le candidat est René Dumont : « tout à coup, je comprenais un candidat quand il parlait. »

Peu après, en 1976, Gilles subit une douloureuse épreuve : à 33 ans, il arrive dans la maison de son père à « La Grange » et trouve porte close. Au décès de sa mère deux ans avant, Gilles avait cru qu’il s’occuperait de cette maison pour laquelle ni son père, ni son frère n’avaient montré d’intérêt. C’était sans compter la maîtresse de son père qui voulait reprendre la main sur la maison. Après une discussion avec ce dernier, il a compris et est parti. Il dit en avoir pleuré pendant huit jours. Plus tard, il achète un terrain dans la même région et bâtit lui-même sa maison avec l’aide d’amis. « La Creuse est un pays de maçons, dit-on. Je vais me faire maçon, ce n’est pas très difficile. »

C’est après l’exposition « Le jardin planétaire » à la Grande Halle de la Villette qu’il a en quelque sorte pris son envol. Il note qu’à l’échelle mondiale, les consciences se réveillent enfin. Que dire en conclusion du destin des générations à venir ? Gilles suggère d’introduire les bases dès l’école maternelle : « Comment est la Terre ? De quoi est-elle faite ? » Et d’éveiller avant tout la curiosité des enfants. Dans son expérience, d’étudiant et de professeur (à l’École de Versailles entre autre) il évoque des « profs mousquetaires ».