Gilles de Gouberville : Journal

jeudi 15 avril 2021, par Élizabeth Legros Chapuis

En ce printemps 2021, à l’occasion du cinquième centenaire de la naissance de Gilles de Gouberville, le Comité qui porte son nom réédite son Journal, l’un des « livres de raison » parmi les plus anciens (milieu du XVIe siècle) et les plus complets dont on dispose.

Le livre de raison d’un gentilhomme normand : Gilles de Gouberville

Gentilhomme normand de petite noblesse, Gilles Picot, né en 1521, est le fils aîné de Guillaume V Picot, seigneur de Gouberville, et de Jeanne du Fou, fille de Guillaume du Fou, seigneur de Barville et capitaine du château de Cherbourg. Installé au Mesnil-au-Val (aujourd’hui dans la Manche), Gilles succède à son père en 1543 pour la charge de lieutenant des Eaux et Forêts pour la vicomté de Valognes. Il hérite ensuite, de son père, des seigneuries de Gouberville et du Mesnil-au-Val, puis de la seigneurie de Russy de son oncle Jean Picot, prêtre.

Il est l’auteur d’un journal, dont les années 1549 à 1562 ont été conservées et dont le manuscrit original – aujourd’hui malheureusement disparu – a été découvert en 1867 dans le chartrier du château de Saint-Pierre-Église par l’abbé Alexandre Tollemer. Le texte du manuscrit a d’abord été édité par Eugène Robillard de Beaurepaire dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie (1892, vol. XXXI) – cette édition peut être consultée sur le site Gallica.

Cet ouvrage est un témoignage de la vie d’un gentilhomme campagnard dans le Nord-Cotentin au XVIe siècle. « Lorsqu’il commence son journal, le sire de Gouberville a environ trente ans. C’est un homme en pleine possession de ses moyens physiques, résistant, adroit, bien entraîné, sachant tenir une épée. Il tire à l’arbalète et au mousquet. Habile aux jeux d’adresse et de force, il se plait à jouter avec ses amis. Il sait, à l’occasion, manier les outils de la ferme et conduire les lourds charrois. Homme cultivé, il lit le latin et utilise des caractères grecs pour transcrire des phrases françaises, quand il veut noter dans son journal des faits que ses gens ne doivent pas lire. » (présentation du Comité Gilles de Gouberville)

« Si le « je » est omniprésent dans le livre de raison de Gilles de Gouberville, le « moi » en est totalement absent », note Guy Nondier. Pour le connaître, « il ne faut pas compter sur lui-même mais sur tout ce que trahit de lui l’écriture innocente du Journal », qui ne consigne que des données factuelles. Le titre que Gouberville avait donné à ses écrits était d’ailleurs Mises et receptes faictes par moi, Gilles de Gouberville – « mises » signifiant à l’époque les dépenses : c’est un livre de comptes. C’est Eugène Robillard de Beaurepaire qui l’a désigné sous le nom de Journal qui lui est resté ensuite.

Dans l’ouvrage de Philippe Lejeune et Catherine Bogaert Un journal à soi (Textuel, 2003), le Journal de Gouberville est présenté en parallèle avec celui de Jean Héroard, médecin de Louis XIII, les deux étant des « entreprises individuelles de taille monstrueuse ». (Encore le Journal de Gouberville n’est-il pas complet : on estime qu’il en manque les deux tiers.) « Ils ont en commun d’être rédigés de manière minutieuse, chaque journée passée en revue du matin au soir, avec un luxe de détails qui en fait une sorte de Pompéi où la vie quotidienne est fixée dans toute sa fraîcheur ».

Réédition du Journal 2021

La nouvelle édition du Journal par le Comité Gilles de Gouberville, revue et corrigée, établie par Marcel Roupsard et Philippe René-Bazin, comprend trois volumes, avec des notes, une étude sur la langue, un lexique goubervillien, des index des personnes citées, des lieux et des cartes. Des annexes sur le droit normand, les monnaies, les poids et mesures ainsi qu’une bibliographie complètent cet ouvrage.

En outre, en collaboration avec le Comité Gilles de Gouberville, l’ATILF, un laboratoire du CNRS et de l’université de Lorraine, a mis en ligne le Journal avec diverses fonctionnalités de recherche. (Pour l’instant seules les années 1553-1562 sont consultables, les années 1549-1562 devant être ajoutées ultérieurement).

Le Comité Gilles de Gouberville, dont le site s’avère extrêmement riche d’informations, annonce pour 2021 toute une série de manifestations commémoratives, notamment une exposition multisites dans une dizaine de communes du Cotentin, une exposition « À table avec Gilles de Gouberville » au château de Ravelet, la parution d’un livre illustré « Voyage en Cotentin », un cycle de visio-conférences et bien d’autres encore.