Gilles Perret : De mémoires d’ouvriers. L’autre France d’en-haut

vendredi 2 mars 2012, par Madeleine Rebaudières

J’ai assisté à la projection de " De Mémoires d’ouvriers" et au débat passionnant qui a suivi, en présence du réalisateur et de quelques « beaux personnages » de son film. C’est à partir d’archives de la Cinémathèque des pays de Savoie et de l’Ain que Gilles Perret a construit son film, une remarquable mise en valeur d’images fascinantes sur la vie ouvrière, liée au développement de l’énergie hydroélectrique, à la production de l’acier et de l’aluminium dans ces vallées des Alpes dont généralement l’on ne connaît que les pistes et les sentiers de randonnées.
Grâce à l’implantation des usines, les paysans ont pu rester dans leurs montagnes (au prix d’une vie très dure) en devenant ouvriers-paysans (il y a même un prêtre-ouvrier dans le film) alors qu’auparavant ils devaient partir l’hiver travailler à Paris ou en Italie comme l’évoque le beau film « La Trace » de Bernard Favre réalisé en 1983.

Cette mémoire ouvrière est précieuse à l’heure de la mondialisation et des délocalisations, elle donne à réfléchir sur la question de l’immigration qui ne date pas d’aujourd’hui. On voit à l’œuvre le paternalisme et la domination des patrons, (le crime de Cluses, en 1904, introduit le film), l’exploitation de la main d’œuvre, particulièrement celle des immigrés qui doivent traverser les cols enneigés, au péril de leurs vies, et sont sélectionnés au vu de l’état de leurs mains. Les témoignages des ouvriers syndicalistes et des historiens de la région insistent sur ce qu’était leur vie rude, mais fière et solidaire dans les cités ouvrières et au sein de l’usine. Ils construisaient quelque chose.

Les acquis sociaux conquis au prix de leurs luttes sont en train d’être mis à mal et le travail dévalorisé sous le régime du seul profit d’actionnaires et de patrons tout-puissants à l’autre bout du monde. Ils n’ont plus d’interlocuteurs. La question de Xavier Mathieu (ex-Conti) pendant le débat : « Pourquoi se battre pour une usine qui nous fait vivre, certes, mais jusqu’au démembrement et à la mort ? » est révélatrice du désabusement des ouvriers. Leur vie était organisée par les patrons de la naissance à la mort et il ne s’agissait pas de sortir du cadre prévu. Aujourd’hui, les usines risquent de disparaître pour laisser la place au seul tourisme qui transforme la montagne en un parc de loisirs pour les richissimes du monde entier (les palaces de Courchevel). On est loin de la culture ouvrière avec sa fierté de l’ouvrage bien fait. Les Savoyards vont-ils devenir les valets des magnats de la finance ? Les ouvriers sont 6 millions en France, 23% des actifs, et occupent seulement 2% de l’espace médiatique, selon le document distribué en même temps que le film à voir absolument.

Gilles Perret a déjà fait un documentaire sur la « mondialisation » (2006) et sur la Résistance : « Walter, retour en résistance » (2009). Ce dernier rappelle les idéaux du Conseil National de la Résistance à travers l’histoire d’un résistant haut-savoyard que l’on voit manifester avec Stéphane Hessel et d’autres résistants, au plateau des Glières, contre la récupération de ce lieu symbolique par le président de la République, depuis 2007.