Guy Chaty : Les espaces perdus d ’Antoine

mardi 3 octobre 2006, par Philippe Biget

éditinter éditions, 2006

Comment gérer la relation avec l’enfant que nous avons été ? Question lancinante et vieille comme le monde, et je suis conscient du prosaïsme déplacé du verbe gérer que je viens d’employer. Car appréhender ce rapport étrange ( entre intime proximité et distance déconcertante ) requiert la mobilisation de toutes les facettes de l’esprit humain. Avoir été et ne plus être implique une rupture, douloureuse peut-être, mais salutaire pour qui veut aller au plus loin sur le chemin du devenir.

Pour faire face à ce défi, Guy Chaty a choisi la voie de l’extrême lucidité, de l’observation quasi clinique du phénomène. Afin de mieux y parvenir, il baptise l’enfant Antoine, officialisant d’emblée la dichotomie qu’il revendique, et qui n’exclut pas la tendresse du regard porté sur cet autre.

Le récit alerte nous relate les épisodes les plus initiatiques de la vie d’un enfant découvrant le monde et l’humanité dans la France profonde du milieu du XXème siècle. Un éveil accéléré par la guerre, bien sûr, et les bouleversements domestiques qu’elle provoque. L’auteur se glisse dans la peau d’Antoine, c’est à dire dans un mode d’observation souvent déconcertant pour un adulte, et tente de ne rien nous cacher des rapports ambivalents entretenus avec la religion, des circonstances parfois scabreuses de la découverte du plaisir, des deuils, du sentiment amoureux, etc. Et puis, un jour :

Le temps a passé. J’ai seize ans. Je me réveille (…) L’enfant Antoine ne me quittera plus , dissimulé de plus en plus derrière ce je en éclosion, mais se dévoilant parfois, surgissant même, lorsqu’il se sentira trop bousculé.

La volonté de repousser au plus loin les limites du souvenir, tout en restant conscient des risques d’erreur que cela implique, pourrait donner au récit un ton trop aride, mais l’émotion n’est jamais totalement refoulée par l’esprit scientifique car Guy Chaty, tout en se présentant comme un simple narrateur, passeur d’espaces, continue de materner Antoine. Si j’ose employer ce mot, c’est qu’il le fait lui-même quand, revisitant un lieu qui fut le théâtre d’un amour de jeunesse, il écrit :

Quand je la vois au loin, aujourd’hui comme hier, elle fait bouger en moi un désir d’amour, comme un enfant remue dans le sein de sa mère.

Un livre attachant qui incitera le lecteur à parcourir différemment les espaces de sa propre enfance.