Hélène Gestern : Armen

mardi 23 juin 2020, par Denis Dabbadie

Editions Arléa, 2020,

Ah, lire en ce printemps 2020 la poésie d’Armen Lubin (1903-1974) – ainsi, ces deux strophes de « Sainte patience » qui donne son titre à un recueil publié chez Gallimard en 1951 :

« … À l’hôpital on tolérait toutes ces cuisines
Tous les jeux y étaient permis, même la médecine.

C’est que l’homme blanc assis dans le lit
N’était plus l’homme blanc assis dans la vie... »

C’est lui, le héros du nouvel ouvrage, abondamment illustré, d’Hélène Gestern. Elle, pour qui tous les je sont permis, avoue ici avoir eu « envie d’écrire, à travers la vie d’Armen Lubin, la biographie de l’écriture ». Elle nous y offre aussi un je à miroir. Les chapitres – chronologiques, thématiques – proposent en regard un portrait de l’un et de l’autre : LN G. / A. L-n.

Roman, la vie d’Armen. Noir sur fond blanc. Il est né Chahnour Kérestédjian à Constantinople. Il y aidera son oncle Téotig à rédiger en 1920-1921 un Golgotha du clergé arménien rassemblant 1252 témoignages de cet aspect peu connu du génocide des Arméniens. Arrivé à Paris en 1923, il commence à écrire – en arménien. Articles, nouvelles, un roman, La Retraite sans fanfare. En 1936, on lui diagnostique à la Salpêtrière le « mal de Pott » (tuberculose osseuse), qui le condamne à des souffrances sans nombre, à une vie dépendante de multiples institutions hospitalières (le plus souvent au seul sens institutionnel de l’adjectif) qui connaîtra quelque répit seulement après la guerre, avec l’apparition des antibiotiques. Un chemin de croix de plus de vingt ans. Tout le temps d’observer « la fa-cul-culté de médecine et ses fœtus à lunettes nommés Thomas Diafoirus ». Humour, politesse du désespoir. Et le salut par écriture et récriture qu’il retriture sans relâche : de 1942 à 1968, six livres – en français. De poésie. Signés Armen Lubin.

Au fil des pages, Hélène Gestern égrène les signes de doubles en miroir. Sa mère, originaire d’un pays qui n’existe plus… Hélène a d’abord commis des poèmes, dit-elle ; aujourd’hui, elle n’écrit que de la prose.
Celle-ci a deux natures, deux visages. Signée de deux noms.
« Il a écrit parce qu’il avait l’écriture en lui, comme un viatique, une nécessité, une irréfragable exigence ». Elle – de même : pour, aussi, « s’opposer à un irrespirable silence ». Avec les tenue et retenue qu’on lui connaît.
Ici, les parallèles se rejoignent. Hommage rendu aux amis. Madeleine Follain, fidèle entre tous, pour lui. Elle a également son ami gardien. Là encore, l’écriture intime peut (tout autant qu’anéantir…) sauver : « La correspondance est l’alambic de la tendresse humaine », conclut Hélène le chapitre intitulé « Sévigné des sanas ».
Autres répons : chats, insomnies, tous deux liés…

Je songe qu’un jour, dans la collection imaginée par J.-B. Pontalis « L’un et l’autre », un-e auteur-e se mirera à son tour dans l’œuvre d’Hélène Gestern.

Ce livre fait l’objet d’un article plus développé signé Elizabeth Legros-Chapuis à découvrir dans La Faute à Rousseau n° 84