Hélène Gestern : La part du feu

lundi 18 février 2013, par Bernard Massip

Arléa, 2013

Hélène Gestern, active collaboratrice de La Faute à Rousseau et membre de son comité de rédaction, est aussi une romancière talentueuse. J’ai lu d’une traite son nouveau livre, La part du feu. Je me suis régalé car c’est un roman bien conduit, une sorte de thriller, de cette catégorie particulière que l’on pourrait appeler les thrillers du secret de famille. Sans désemparer, le récit nous mène de découvertes en rebondissements, relançant sans cesse l’intérêt, vers une improbable vérité.

Il comporte pas mal de points communs avec son précédent roman, Eux sur la photo. Il s’agissait là encore d’une enquête sur un secret de famille. Les techniques narratives sont proches, faisant alterner les points de vue de divers protagonistes, appuyant l’enquête sur l’exhumation progressive de documents divers retrouvés, photos, lettres, coupures de presse.

La narratrice principale est une jeune femme, Laurence, qui, apprenant que son père n’est pas en vérité son père biologique, se penche sur certains blancs de l’histoire familiale et réalise que sa mère s’est trouvé associée de très près dans les années 1970 à un petit groupe d’activistes révolutionnaires qui croyaient pouvoir détruire le capitalisme par l’action violente, notamment en déclenchant des incendies purificateurs, frappant les lieux de pouvoir économiques et financiers comme les personnes qui le représente. L’enquête de Laurence la conduit plus spécialement à se pencher sur la personnalité et le destin de son chef charismatique, un certain Guillermo Zorgen, décédé depuis de longues années, vraisemblablement assassiné. A mesure que se révèlent les liens possibles qui pourraient la rattacher personnellement à Zorgen, se précise également le climat politique et psychologique dans lequel évoluait le petit groupe dans la France des années 1970.

Le personnage de Zorgen comme l’organisation qu’il anime sont fictifs. Toutefois, il est comme un autre Pierre Goldman, ce révolté d’extrême-gauche, hors tout groupe partisan, ayant participé à des guérillas au Venezuela, braqueur et flambeur, accusé en 1975 du meurtre des pharmaciennes du Boulevard Richard Lenoir, condamné puis acquitté pour ce meurtre après des procès retentissants, auteur en prison d’un livre magnifique Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, assassiné en 1979 par un groupuscule d’extrême droite. L’origine et l’histoire de Zorgen ne sont pas tout à fait celles de Goldman, quoique certains évènements les rapprochent (leur procès pour meurtre, leur condamnation et leur temps d’emprisonnement qui seront temps d’écriture, leur acquittement, leur assassinat). Mais en tout cas, la révolte, la sincérité foncière et la « vivante colère », le sentiment tragique de la vie, un désir révolutionnaire dont l’enjeu principal était de « tutoyer la mort, la frôler d’aussi près que possible, dans l’espoir de la rencontrer », cela Zorgen et Goldman assurément le partagent. C’est donc à la vérité psychologique de Goldman que renvoie le portrait, affiné et riche de multiples aspects contradictoires, de Zorgen.

Ainsi ce roman apparaît aussi, même s’il ne se veut nullement documentaire, comme riche de vérité sur une période historique. L’enquête, de l’auteure cette fois et non de la narratrice, a été fouillée dans les documents et évènements de l’époque pour en restituer avec vraisemblance la couleur. Elle permet en particulier de faire ressentir, au delà du seul groupe activiste et extrême sur lequel elle se penche, le climat des soubresauts de l’après mai 68 dans les cercles militants gauchistes, des délitements intimes qui ont traversé bien des militants dans ces années là, et c’est à ce titre que ce livre est pour moi, au-delà du plaisir de la lecture fictionnelle, source d’émotion.