Henri Darger : L’histoire de ma vie

vendredi 18 juillet 2014, par Élizabeth Legros Chapuis

Les Forges de Vulcain, 2013

Un bien étrange personnage que ce Henry Darger, peintre américain du 20e siècle (1892-1973) et un bien curieux récit que son Histoire de ma vie. Le livre qui vient de paraître aux éditions Les Forges de Vulcain, agréablement illustré d’une dizaine d’œuvres de Darger (aquarelles/collages), ne constitue qu’une partie du texte original – inédit à ce jour en anglais – dont le manuscrit compte quelque 5500 feuillets. Cette autobiographie a été écrite à partir de 1963 : Henry Darger a alors 71 ans.

Son activité créatrice, souligne Xavier Mauméjan dans sa préface,, « à partir de matériau contenu dans la mémoire, procède par associations originales », suivant une temporalité non linéaire, mais cyclique. Les données factuelles sont entremêlées d’épisodes revisités se rattachant à ses phobies, pulsions de violence, attirances morbides, obsessions : météo, orages, tempêtes ; incendies... Curieusement, il n’y parle nullement de sa peinture. Ces événements sont racontés avec un luxe de détails qui n’est pas accordé aux autres faits de sa vie. (Une exposition d’œuvres de Darger est prévue en 2015 au Musée d’Art Moderne de Paris.)

L’existence de Henry Darger a été « normale », « normée », « dans la norme », peut-être même « normopathe » (celui qui calque son comportement sur celui prétendument attendu par les autres). Originaire de Chicago, ville avec laquelle il conserve un lien important, il a exercé des métiers alimentaires et s’est montré un homme discret, peu sociable. Évoquant son ami William Schloeder et la famille de celui-ci (frères et sœurs), il ajoute qu’après sa mort « [il] ne [s’est] plus lié avec quiconque depuis ».

Le texte retenu pour l’édition française porte largement sur l’enfance du peintre, qui fut difficile. Sa mère est morte alors que Darger était encore tout enfant, et sa petite sœur adoptée par on ne sait qui. Après que son père infirme ait été finalement admis dans un hospice, Henry Darger est pensionnaire dans l’institution Notre-Dame de Miséricorde, école très rigide et sévère. Il est mal vu par les autres élèves car, convient-il, « j’étais tout de même un peu trop bizarre ». Il se considère d’ailleurs toujours sans bienveillance : « J’ai oublié de dire que depuis ma plus tendre enfance et jusqu’à présent, j’ai toujours eu une nature ou caractère très rude, très volontaire, bien décidé que toutes les choses se déroulent selon mes désirs, qui que ce soit qui veuille s’en mêler ou m’en empêcher, et cela à tout prix – voire celui du péché. » Ou encore : « Mais pour en revenir à mon caractère ou à ma nature, tous deux mauvais ». Il est finalement admis dans une institution pour enfants attardés (qu’il appelle « l’asile ») où il reste « de nombreuses années ».

A 17 ou 18 ans, Henry Darger s’enfuit de l’asile, va se réfugier chez sa marraine à Chicago. Elle lui trouve du travail comme gardien ou garçon de salle à l’Hôpital St Joseph. A l’hôpital, d’après lui, on le considère comme fou ; néanmoins, il semble avoir assuré normalement son emploi, et après avoir travaillé quelque temps dans un autre hôpital, il revient en 1946 à St Joseph où il reste jusqu’à l’âge de la retraite (en 1963).

La lecture de ce récit s’avère très déconcertante, avec ses incohérences, ses bizarreries. Le livre pose plus de questions qu’il ne donne de réponses et suggère bien des mystères... Des pans entiers de l’existence de l’auteur sont ignorés. Sa dernière phrase, très représentative : « Il y a une chose vraiment très importante que je dois écrire ici et que j’ai oubliée. »

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