Henri de Régnier : récits vénitiens

lundi 19 octobre 2015, par Fiorella Giovanni

Collection l’Écrivain Voyageur, Édition La Bibliothèque, 2004

Une plaque de pierre gravée, apposée en 1948 sur le mur du jardin de la Ca’ Dario, près du charmant Campiello Barbaro, honore la présence du célèbre écrivain en ce beau palais dont la façade du XIIe siècle donne sur le Grand Canal. La plaque nous dit :

Dans cette vieille maison des Dario,
Henri de Régnier, poète de France,
vécut "Veneziamente"(comme un vénitien) et écrivit de 1899 à 1901

L’écrivain se disait atteint de folie vénitienne. Elle le conduisit maintes fois à résider de longues périodes à Venise. Il la décrivit. Il raconta son atmosphère particulière. Comme un vrai vénitien, il avait ses habitudes, rencontrait des connaissances, déjeunait en ville, s’asseyait "sous le chinois" au Florian. Venise lui offrit ce qu’il aimait : solitude et silence.
Les nouvelles publiées dans Récits vénitiens et spécialement la nouvelle fantastique L’Entrevue peuvent se lire comme une véritable autobiographie d’un séjour. Lors de son arrivée, sa chambre de Ca’ Dario était occupée. Il avait oublié de télégraphier sa venue. Son ami Tiberio Prentinaglia lui indiqua une location dans un palais très délabré près de l’église des Carmini, sans quitter le "sestiere" (quartier) de Dorsoduro. Il lui apprit la disparition d’un petit buste au musée civique. L’écrivain loua le mezzanino [1] de la signora dans son palais mal entretenu depuis longtemps. Un soir, il remarqua d’étranges reflets sur un mur-miroir de son salon. Une situation troublante naissait.
Il se promenait, foulait les dalles sonores des ruelles, se rendait à la trattoria du quartier et évitait ainsi la Piazza San Marco. Le temps s’écoulait doucement. Il réfléchissait de longues heures au salon et suivait les arabesques serpentant sur les murs. Quand le jour baissait d’intensité, les étranges reflets apparaissaient.
Que se passa t-il ? Il se réveilla à la clinique de l’ile de la Giudecca. Le petit buste était à nouveau visible dans sa vitrine du musé civique.

J’ai habité plusieurs fois chez une vénitienne, à côté de la Ca’ Dario. Elle me fit découvrir cette plaque gravée en l’honneur de l’écrivain français. Ca’ Dario aurait-elle été plus favorable à l’écrivain lors de ce séjour ? Des années après, elle fut déclarée "maudite". Des propriétaires successifs y moururent.


[1Mezzanino : appartement dans un palais au plafond plus bas plus facile à chauffer en hiver. Dans les palais anciens, on trouve souvent un mezzanino en-dessous et un autre au-dessus d’un appartement à hauteur de plafond normal (source : explication de Franco Filippi, écrivain et éditeur vénitien).