Henry David Thoreau : Walden ou la vie dans les bois

vendredi 6 janvier 2012, par Catherine Vautier-Péanne

Gallimard (collection l’Imaginaire), 2011, première édition 1990, des extraits en Folio

En 1845, Henry David Thoreau (1817-1862), se retire dans les bois afin de se libérer de toute contrainte pour écrire dans le calme et vivre au plus près de la nature. Il y restera deux ans, deux mois et deux jours. De son expérience il tirera un livre publié en 1854, Walden ou la vie dans les bois, écrit à partir de son Journal (publié à titre posthume, en 1906).

La cabane en pin qu’il construit de ses mains couvre treize mètres carrés, elle est établie sur les rives de l’Étang de Walden (Massachusetts) découvert en 1822 lors d’un séjour chez sa grand-mère. Son grand-père paternel d’origine française, né à Jersey, quitte l’île en 1773 pour les États-Unis sur un bateau corsaire.

« Je m’en allais dans les bois parce que je voulais vivre sans hâte, faire face seulement aux faits essentiels de la vie, découvrir ce qu’elle avait à m’enseigner afin de ne pas m’apercevoir, à l’heure de ma mort, que je n’avais pas vécu ». Voulant vivre aussi simplement que les Indiens dans leur wigwam, il se nourrit de son champ de haricots, de bouillie de maïs, de pois et de navets, fait son pain, cueille myrtilles et cerises sauvages, pêche et chasse dans la tradition des pionniers, buvant l’eau de l’étang. Il répète à l’envi que thé et café sont nuisibles à la fluidité des pensées.

Depuis son refuge, il considère la vie des urbains avec une certaine condescendance. Son exil volontaire le lui confirme, on peut vivre de presque rien avec très peu d’argent. La vente du surplus de ses haricots couvre ses besoins réduits au minimum vital, une journée de labeur lui permettant six jours de flânerie intellectuelle.

Allongé sur le sol, les yeux au ciel, intermédiaire bienheureux entre les aiguilles de pin et la Voie Lactée, il apprend à connaître les arbres et devient leur ami. « C’est surtout en plein air, où il n’est ni maison ni maître de maison, que se cultive le goût du beau ». Il observe la nature, l’étang au premier chef qui est un protagoniste à part entière de l’action, les nombreux animaux sauvages qui sont ses voisins à Walden. « La terre que je foule aux pieds n’est pas une masse inerte et morte, elle est un corps, elle possède un esprit, elle est organisée et perméable à l’influence de son esprit ainsi qu’à la parcelle de cet esprit qui est en moi ». Une description des habitudes des perdrix est suivie par celle d’une fascinante et homérique bataille entre les fourmis rouges et les fourmis noires : « De chaque côté on était engagé dans un combat à mort, sans que le moindre bruit m’en parvint à l’oreille, et jamais soldats humains ne luttèrent avec plus de résolution. J’en observai deux solidement bouclées dans l’étreinte l’une de l’autre, au fond d’une petite vallée ensoleillée parmi les copeaux, disposées, en cette heure de midi, à lutter jusqu’au coucher du soleil, ou à extinction de la vie ». Il relate ses observations sur les hiboux, les lièvres, écureuils roux, différents oiseaux, le renard qui passe à côté de sa cabane. Au printemps il observe le dégel des eaux et le renouveau de la nature, les oies qui reprennent leur vol vers le nord.

Il reçoit parfois des visites : un fermier, un bûcheron, un poète et ami. Mais la solitude lui est bonne : « Je trouve salutaire d’être seul la plus grande partie du temps. Être en compagnie, fût-ce avec la meilleure, est vite fastidieux et dissipant. J’aime à être seul. Nous sommes en général plus isolés lorsque nous sortons pour nous mêler aux hommes que lorsque nous restons au fond de nos appartements ». Il a lu les Védas (livres sacrés hindous) ; la Bhagavad-Gîtâ est son livre de chevet, qu’il contribue à faire connaître aux États Unis. Il est un disciple de Ralph Waldo Emerson, son aîné de quinze ans, qui a déjà publié deux ouvrages importants dans l’histoire de la littérature américaine : Nature, et l’Intellectuel Américain. Le courant transcendantaliste est bien représenté dans son village natal de Concord où nombre d’écrivains et auteurs s’installent.

Thoreau défend un art de vivre fondé sur l’écoute de soi, la simplicité, le végétarisme – comme idéal de purification à atteindre - la vertu et le travail, ce qui ne l’empêche pas d’empathie pour l’humanité souffrante. Il est résolument contre l’esclavage, se bat pour l’abolitionnisme et aide les esclaves à gagner leur liberté. Précurseur de Stéphane Hessel (cent cinquante ans avant lui !) il prône la résistance, refuse de payer ses impôts à un État qui admet l’esclavage et fait la guerre au Mexique, et ses nombreux essais politiques (dont le plus fameux La désobéissance civile ) influencèrent des personnalités telles que le Mahatma Gandhi, le Président John F. Kennedy et Martin Luther King. La pensée écologiste moderne voit en Walden le roman (mais il s’agit d’un récit) du retour à la nature et de la conscience environnementale. Walden, lente introspection, fil directeur d’une recherche de sens dans un monde de plus en plus marqué par l’industrialisation et la transformation de l’espace, garde aujourd’hui toute son actualité.

Il existe plus de 200 traductions de Walden à travers le monde ; la première traduction, en langue allemande, date de 1897 (la première en français en 1922, par Louis Fabulet qui découvre le livre grâce à André Gide). Le gouvernement indien édita une cinquantaine de traductions dans les langues les plus courantes, en l’honneur de l’influence de Thoreau sur Gandhi. Thoreau, qui avait déjà perdu sa sœur de cette maladie, meurt de tuberculose en 1862. Sa biographie, publiée en 1939, est un best-seller aux États-Unis. Plus près de nous, en France, Jean Giono le compte parmi ses auteurs favoris.

Grâce à l’œuvre de Thoreau, l’étang de Walden est aujourd’hui un espace protégé de 462 hectares, inscrit comme réserve naturelle des États-Unis depuis 1965. Le lieu est un parfait exemple du pouvoir de mobilisation du public pour la conservation d’espaces naturels (et culturels) ; il reçoit chaque année environ 750 000 personnes… Non, Thoreau n’est plus tout seul !

La Société des Amis de Thoreau créée en 1941 est toujours très active ; elle a son siège dans sa maison natale à Concord (Machassusetts) et son site : www.thoreausociety.org.

Journal 1837-1861, éditions Denoël, 2011