Ilse Jordan : Derrière les portes de l’Extrême-Orient

samedi 17 septembre 2016, par Évelyne Picard

Artisans-Voyageurs Éditeurs, 2013,
traduit de l’allemand par Jean-Louis Spieser

L’auteur de ce livre passionnant est une enseignante allemande, née en 1891 à Bischwiller, en Alsace, et décédée dans le Nord de la Bavière en 1988, à l’âge de 97 ans. Après avoir fait des études de chant, puis de philologie allemande, romane et anglaise, elle se rend en Chine (en transsibérien) pour y enseigner, de 1926 à 1931, à l’Ecole allemande de Shanghaï. Pendant ses congés, elle voyage, seule la plupart du temps, à travers la Chine, le Japon, la Corée, Taïwan (Formose), les Indes néerlandaises (Bali, Java), la Micronésie (îles Marshall)… En 1939, elle publie en Allemagne le récit de ses aventures. Le livre est réédité en 1949 puis en 1987, trois dates particulières de l’histoire allemande qui l’ont sans doute empêchée de connaître une plus grande notoriété, malgré un certain succès dans son pays.

L’un des intérêts de ces récits est l’histoire (développée dans la dernière partie du livre) de la redécouverte fortuite du manuscrit original, qui n’était ni daté, ni signé. Jean-Louis Spieser, habitant de Fréland (Haut-Rhin), fait l’acquisition, au printemps 2003, dans le vide-grenier d’un village alsacien, et pour 1 €, de quelques documents manuscrits en langue allemande, dont rien n’indique la provenance, ni l’auteur. Séduit par le contenu et le style du texte, il se lance dans une longue enquête sur internet pour connaître l’identité de cette voyageuse de l’entre-deux-guerres. Parallèlement, il entre en contact avec divers spécialistes , qui vont se passionner à leur tour pour son enquête, et avec lesquels il va parfois se lier d’amitié : un archéologue spécialiste de l’Océanie, un linguiste anglais pour les langues du Pacifique, un professeur australien grand connaisseur des îles Marshall, l’auteur d’un site répertoriant les voyageurs en Extrême-Orient jusqu’en 1949… Il écrit aux missions religieuses rencontrées par l’auteur, aux ambassades allemandes auxquelles elle a dû s’adresser, aux compagnies de navigation qu’elle a dû utiliser… Mais les fausses pistes se succèdent, et c’est finalement par l’association hasardeuse de quelques mots-clés en allemand sur son moteur de recherche, que lui est miraculeusement révélé le nom de la voyageuse. On est au printemps 2006. Tous les indices accumulés depuis trois ans se recoupent, l’auteur du manuscrit se nomme Ilse Jordan. Jean-Louis Spieser peut alors se procurer un exemplaire du livre auprès d’un antiquaire fribourgeois, entrer en contact avec le préfacier et ayant-droit de l’édition 1987, et obtenir de lui l’autorisation d’en faire la traduction laquelle est publiée en français en 2013, dix ans après la découverte du manuscrit original au marché aux puces de Horbourg-Wihr, près de Colmar.

Selon certaines informations, il semblerait que l’histoire ne soit pas terminée. Après la parution de sa traduction, Jean-Louis Spieser a été contacté par des personnes qui ont connu Ilse Jordan et ont même gardé des objets et des documents lui ayant appartenu, notamment un journal intime, ainsi qu’une partie de sa correspondance. Des textes qui s’avèrent, selon Jean-Louis Spieser beaucoup plus personnels que ses récits de voyage qui la montrent déterminée, courageuse et fine observatrice des mondes et des peuples rencontrés, mais qui n’entrent pas dans le détail de sa propre psychologie. Dans l’attente d’une publication de ces nouveaux textes, on ne peut que recommander la lecture de ces voyages extraordinaires en Asie, pratiqués par une jeune femme seule, curieuse et audacieuse, il y a près de 90 ans.

Voir le site de l’éditeur avec un extrait et des commentaires de lecteurs