In memoriam Anne Wiazemsky

mercredi 25 octobre 2017, par André Durussel

Hommage à Anne Wiazemsky (1947-2017)
"Les jours raccourcissent, l’été s’éloigne, dit Robert Bresson" (Jeune fille, Folio Gallimard, p. 208)

Hospitalisée en cette fin de l’été 2017 à Paris, très affaiblie par la maladie, Anne Wiazemsky s’est éteinte le jeudi 5 octobre. C’était la petite fille de François Mauriac, comme, en Suisse, Sabine de Muralt est la petite fille de Gonzague de Reynold. Toutes deux ont en effet beaucoup aimé leur illustre et célèbre grand-père.

Actrice, puis romancière, Anne Wiazemsky avait tourné avec Robert Bresson Au hasard Balthazar. C’est précisément lors de ce tournage que Jean-Luc Godard va l’engager pour La Chinoise… puis l’épouser le 21 juillet 1967 à Begnins, en Suisse francophone. Elle est avec lui à Venise, il y a cinquante ans, et elle évoque tout cela dans Une année studieuse en 2012, chez Gallimard, parce que Colette Gallimard était son amie d’enfance, et que c’est auprès de cet éditeur qu’elle avait publié ses premiers romans. Son mariage ne durera que trois années, durant lesquelles les retombées de mai 1968 vont encore fragiliser définitivement leur couple.

Sa mère, Claire Mauriac, était une fille du grand romancier catholique François Mauriac. En août 1945, dans le cadre d’une mission de la Croix-Rouge à Berlin, Claire fait la connaissance du prince Ivan Wiazemsky, comte de Levachov, surnommé "Wia", né en 1915 à Saint-Pétersbourg. Il est là comme secrétaire de la division dite "Des personnes déplacées", après avoir été fait prisonnier par les Allemands en France sur le front de la Somme. Le 5 juillet 1946, c’était le mariage. A Berlin, Claire est enceinte… et souhaite un garçon. Mais c’est Anne qui voit le jour, après un accouchement très difficile. Or, Anne Wiazemsky ne s’était jamais penchée sur les origines russes de son père et de sa famille. Grâce à un oncle, il va lui dévoiler des histoires de cette famille et, avec lui, elle fait un pèlerinage en Russie. Cela va donner, sous une forme romancée, Une poignée de gens (Gallimard, 1998), dédié à son frère Pierre.

Pour la lectrice ou le lecteur qui souhaite mieux connaître l’œuvre et la personne de celle qui vient de nous quitter, la part autobiographique de ses ouvrages est une source à la fois précise et émouvante. En particulier Jeune fille, qui relate son premier tournage avec Robert Bresson, celui qui va lui ouvrir les portes chez d’autres grands réalisateurs, tel Pier Paolo Pasolini et Marco Ferreri en particulier, sans oublier Un an après (2015), qui relate précisément sa vie avec Jean-Luc Godard, et dont Michel Hazanavicius s’est inspiré pour son très récent film intitulé Le redoutable.

Si c’est surtout Jean-Luc Godard qui lui a appris à mêler réel et fiction pour en faire par la suite un procédé créatif, chez Sabine de Muralt, mentionnée au début de cet hommage et de quelques années plus âgée, mais toujours alerte en cet automne 2017, c’est plutôt son grand-père Gonzague qui l’a encouragée à écrire. Et si je vois une certaine similitude entre ces deux femmes qui ont écrit, ce n’est pas uniquement à cause de leur célèbre aïeul. Sabine de Muralt a en effet aussi séjourné en Allemagne à la même époque, à l’âge de deux ans et demi et jusqu’à cinq ans, non pas à Berlin, mais à Danzig, où son père, Carl J. Burkhardt, était en mission comme Haut-Commissaire de la SDN. Sous le prénom de Pauline, elle évoque tout cela sous le titre Tout un monde dans la petite collection Haute enfance, publié aussi chez Gallimard en 2004, puis, plus récemment Le retour des choses aux Editions de l’Aire, à Vevey, en 2015. Cressier, près de Morat, où résidait son grand-père, devient Uchtenwil, et l’incendie du Château, dans la nuit du 3 au 4 novembre 1974, est relaté avec précision, tandis que les livres anciens qui tapissaient le bureau du célèbre historien fribourgeois étaient jetés en vrac dans la cour, faisant plus tard le bonheur des brocanteurs. (Op. cit. p.73)

Aujourd’hui, la voix d’Anne Wiazemsky s’est tue à jamais. Mais sa présence, par ses écrits, demeure pour nos nouvelles générations une immense source de jeunesse et de vie.