Isabelle Mercat-Maheu : Histoires d’écritures. Voyage en ateliers d’écriture

lundi 10 mai 2010, par Véronique Leroux-Hugon

La cause des Livres, 2010

Ce voyage est tout sauf un manuel pour animateurs d’ateliers d’écriture. Relaté par une animatrice chevronnée, Isabelle Mercat-Maheu, c’est un parcours personnel, « fait d’entrelacs nés d’un métier qui se nourrit de la vie - de la sienne et de celle des autres ». Cette implication est constamment présente au cours de dix chapitres, rythmés chacun par le titre d’une chanson, de Brel à Johnny, de Souchon au slam et ses avatars, pour décrire cette autobiographie qui, pour être professionnelle, n’a rien d’un constat sociologique glaçant.

L’auteur rappelle l’importance de quelques années passées à l’École Freinet et ses innovations pédagogiques, puis sa formation aux Ateliers d’Elizabeth Bing, pionnière dans ce domaine, dont l’auteur nous rappelle rapidement l’historique. On aborde ensuite différentes formes d’ateliers : pour vieilles dames, pour adolescents, pour petits enfants, pour détenus, un public qu’on pourrait penser disparate, captif ou volontaire, devant lequel, chaque fois, dans la durée autant que possible, Isabelle Mercat-Maheu réfléchit – « sage-femme d’écritures » comme elle se désigne – à un abord différent ; sans jamais cependant, renoncer à tenir les guides, à mener à bien un projet où, dit-elle, l’animateur s’implique autant que le participant.

Un catalogue extrêmement vivant, parce que justement il est émaillé de remarques fines, pleines d’humour, pour expliquer, s’expliquer ce métier d’accoucheuse un peu particulière, entreprise de socialisation aussi. J’ai été particulièrement intéressée par les ateliers en prison, et ceux intitulés « Ateliers Biographie - Autobiographie ».

Pour les premiers, ateliers paradoxalement volontaires, l’auteur explique bien la rigidité du cadre, la complexité du suivi pour des détenus, qui parfois changent de lieu de détention, ou ont terminé leur peine, la richesse de leurs écrits. Survient alors cette impression d’une reconnaissance, pour la première fois, et au delà des stéréotypes, de ce que sont aussi ces jeunes gens. En effet, « l’atelier d’écriture est le lieu où chacun garde ou recouvre quelque chose de sa voix propre, il permet d’aider chacun dans la préservation de ce petit quelque chose qui fait qu’il est lui-même et rien d’autre que lui-même… ». Quant aux Ateliers Biographie - Autobiographie, ce n’est nullement une invite à une psychanalyse appliquée : ce n’est ni le métier, ni encore moins le souci de l’animatrice, qui se fait une règle, une éthique aussi, de veiller à la forme des écrits : « plus le fil technique sera fortement tenu, plus les participants seront à même d’écrire sur eux ou sur les leurs sans se trouver dans une position complaisante ou impudique ». Pour cette pratique particulière, elle cite l’Irlandaise Nuala O’Faolain : « quand on essaie de faire des phrases à partir d’un matériau douloureux, quand on le soumet à un travail, le matériau s’allège ».

Avouant d’emblée son appétence à une ration quotidienne de fiction, le besoin de fréquenter les livres sans modération, l’auteur réfléchit également sur une question qui nous est chère, celle des rapports entre mémoire/fiction/autobiographie, réflexion nourrie de lectures dont la liste est impressionnante, avec notamment celles de Nancy Huston, notant que la réalité de chaque vie est une fiction pour les autres.

Merci à Isabelle Mercat-Maheu pour cette invite à une pratique qu’elle rend passionnante !