Isabelle Monnin : les gens dans l’enveloppe

jeudi 24 août 2017, par Bernard Massip

Roman, enquête, chansons, avec la collaboration d’Alex Beaupain, Lattès, 2016

En juin 2012 Isabelle Monnin achète à un brocanteur un lot de photos de famille prises entre la fin des années 60 et le début des années 2000, sans la pensée d’en faire quelquechose. Puis à mesure qu’elle les contemple, qu’elle laisse courir son imagination sur les clichés qui lui évoquent aussi sa propre enfance, lui vient l’idée d’un double travail :

« Romancière et journaliste je sais faire deux choses : inventer des histoires et enquêter. Je sais imaginer des personnages, entendre leur voix ; je sais retrouver des gens et les écouter. Dans l’enveloppe il y a tout de suite deux livres : un roman et une enquête. » Elle se donne pour consigne de ne pas commencer l’enquête avant d’avoir terminé la fiction, de ne rien changer à la fiction une fois l’enquête faite.

A partir de ses rêveries sur « la petite fille au pull rayé et à la beauté grave », sur « la grand-mère revêche aux lunettes noires », sur « trois femmes devant la rôtissoire au camping », à partir du climat de mélancolie qu’elle perçoit au-delà des sourires de commande, s’élabore peu à peu un scénario où il est question de plusieurs générations de femmes, d’abandons subis ou choisis, d’un amour transatlantique. En octobre 2013 elle choisit les prénoms de ses personnages et commence à rédiger son histoire. En septembre 2014 elle met le point final au roman et se lance dans l’enquête.

Un nom de lieu au dos d’une photo, le seul, le barrage du Châtelot dans le Doubs où la famille se promène, lui donne une hypothèse sur la région où elle doit chercher. Une photographie de la maison familiale derrière laquelle s’aperçoit le clocher de l’église lui permet, point décisif, de trouver le village d’origine de la famille, Clerval, grâce à une recherche sur Google photos. Des échanges avec un mémorialiste du village puis des rencontres sur place lui permettent de confirmer que la famille a bien habité ici, que la maison appartient toujours à Michel, l’une des personnes présente sur les photos. La maison est en vente depuis des années, l’auteure se fait passer pour acheteuse potentielle et ainsi rencontre le vendeur. Un dialogue se noue d’abord méfiant puis peu à peu confiant et même amical avec Michel puis avec d’autres membres de la famille, dont Laurence « la petite fille au pull rayé et à la beauté grave ». La véritable histoire de la famille se dessine et se révèle finalement aussi « romanesque » que la fiction avec son lot de secrets et de drames. Curieusement certains des prénoms choisis dans la fiction se retrouvent dans le réel et surtout la thématique générale de l’abandon est également très présente, notamment au travers de Michel, né de père inconnu et laissé à ses grands-parents au village, tandis que sa mère devenait ouvrière à Lyon. Celui-ci revivra, à l’âge adulte, de façon récurrente, ce sentiment d’abandon au départ de ses deux épouses successives dont la maman de Laurence.

La deuxième partie du livre est le journal de création, tenu par Isabelle Monnin pendant tout son processus de travail, couvrant essentiellement le temps de l’enquête mais incluant aussi de façon plus brève le temps du roman. Elle y fait part de ses avancées et de ses doutes comme de ses interrogations éthiques sur sa démarche et sur l’appropriation qu’elle opère des photographies et de ceux qui y sont représentés. Elle note ce que « les gens dans l’enveloppe » renvoient d’échos à sa propre histoire comme à celle de sa famille. L’ancrage géographique et social est le même : son village d’origine est à soixante kilomètres de Clerval, les gens dans l’enveloppe renvoient à ce même parcours plurigénérationnel d’ascension dans la France du 20eme siècle, grands-parents campagnards pauvres, parents partis à la ville, ouvriers ou employés, adultes d’aujourd’hui, écrivain et journaliste (elle-même) ou cadre dans la fonction publique (Laurence). A posteriori Isabelle Monnin comprend bien que c’est cet air de familiarité avec ce qu’elle connaît qui l’a attiré vers ces photos sans qu’elle en soit consciente. Et c’est cette proximité qui a rendu plus facile ensuite l’instauration d’une véritable complicité entre « les gens dans l’enveloppe » et elle-même, faisant de ses interlocuteurs des participants très impliqués dans le projet.

A la question de ses nouveaux amis : « Mais pourquoi fais-tu tout cela ? quel intérêt nos petites vies présentent-elles ? » Isabelle Monnin donne des réponses qui font parfaitement écho à notre démarche à l’APA : « je crois que toute vie mérite d’être racontée, chaque vie est un témoignage de toutes les autres. On racontera une époque, une terre, un petit monde. On racontera la vie des gens dont on ne parle jamais. Elle vaut autant que celles dont on parle - autant et si peu ».

Le chanteur Alex Beaupain, ami d’enfance d’Isabelle Monnin et originaire de la même région, se passionne aussi pour la démarche. Il écrit une dizaine de chansons inspirées du livre, en interprète lui-même la plupart mais fait aussi intervenir d’autres artistes et les membres de la famille elle-même : on entend donc dans le disque, les voix de Michel, de Suzanne, de Laurence et de ses propres jeunes enfants, une trace vivante, émouvante, qui vient donner une épaisseur supplémentaire aux mots écrits ou recueillis par Isabelle Monnin.

Et l’aventure continue : un spectacle musical a été créé à partir du livre et des chansons : déjà présenté à plusieurs occasions, il sera donné de nouveau du 3 au 5 octobre 2017 à la Philharmonie de Paris.

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