J.M.G. Le Clézio : "Chanson bretonne" suivi de "l’enfant et la guerre". Deux contes

mardi 14 juillet 2020, par Elisabeth Gillet-Perrot

Gallimard, 2020

Le Clézio, qui vient d’avoir 80 ans nous offre sa superbe plume autobiographique encore plus forte que d’habitude. Il a toujours tourné sa colère en puissance souvent par le biais de l’humour. En courts chapitres, il nous permet de cerner son histoire : « Sans doute parce que je venais d’ailleurs, que je n’étais jamais chez moi nulle part, balloté, baladé entre la Maurice de mon père, la Bretagne de mes ancêtres et la Nice de mon enfance - il y avait donc cette étrangeté au monde, cette déroute, cet exil… j’étais juste de passage. »

En mélangeant ses souvenirs de la Bretagne, il évoque l’Afrique où son père était médecin, ceux de l’Ile Maurice d’où étaient originaires ses grands-parents.
Comme toujours, il mêle ses souvenirs à ses convictions d’homme pacifiste et défenseur de l’équilibre de la nature.

Ainsi du chapitre « Doryphores » : « Contre lui on déchaîna des torrents de DDT sans souci pour les chats, les enfants et la nappe phréatique. En Afrique, nous avions approché quelques-uns des insectes les plus redoutables, la fourmi guerrière… les scorpions noirs… et surtout les moustiques porteurs de la malaria. La Bretagne nous réservait une surprise : des armées d’insectes jaune et noir… parfois, ils étaient si nombreux que les rares voitures en passant sur eux laissaient la marque de leurs pneus.

Dans le chapitre « Religion », avec son ressenti tout en subtilité, il compare la messe en Bretagne : « on y trouvait bien tout le cérémonial auquel les enfants adhèrent d’instinct, sans rien remettre en cause … Mais l’ambiance de la messe était respectueuse et je n’ai jamais été témoin des inconvenances auxquelles se livraient les petits niçois, qui s’asticotaient entre eux et même lâchaient des pets sonores au moment de l’élévation. » Le chapitre « Le mystère » relève du mysticisme : « Je me souviens d’avoir collé mon oreille contre le granit des dolmens pour entendre la vibration électrique qu’ils émettaient, et je l’ai entendue … »

Dans le conte suivant « l’enfant et la guerre », Le Clézio emploie le présent de narration tant on sent qu’il vibre encore de ce que l’enfant né en 1940 a subi. En effet, il souligne que de nos jours, « des bombes conçues pour percer le béton et atteindre l’ennemi jusqu’au troisième sous-sol… comment les enfants peuvent-ils s’en remettre ? Même s’ils ne sont pas blessés, même s’ils n’entendent pas une seule, mais dix, vingt explosions… même si on leur dit : « C’est la guerre ». Comment en guériront ils ? Les enfants qui ont moins de cinq ans ne se souviennent de rien…

Enfin, il fait un superbe éloge d’un glaneur et cite à cette occasion La ritournelle de la faim qu’il a écrit il y a longtemps. Il a évoqué l’importance des glaneurs lors d’une rencontre avec le romancier Mo Yan qui raconte comment il a glané, au temps de la famine, pour ramasser les épis de sorgho dans les champs… lui aussi a connu la faim et n’a pas oublié.

La boucle est bouclée quand il nous dit : « L’enfant ne vit pas dans l’histoire. Il ne connaît que les histoires, les contes, les paroles saisies au vol, les rêves éveillés. »