Jean-Claude François : Le Grand Théâtre de Corbigny

mardi 19 octobre 2010, par Marie-Dominique Yvard

La contemporaine, 2004

Un canton de la Nièvre, Corbigny, dans les années de l’après-guerre, où l’auteur, enfant adolescent en vacances chaque année chez ses grands-parents, est fasciné par une vie de village où chaque commerçant, chaque habitant, participe à une sorte de vaste mise en scène qui a tant marqué cet ancien professeur d’allemand qu’il veut les ressusciter dans une suite de récits ou de saynètes qui ne sont ni imaginaires, ni l’exacte reproduction de la réalité car il reconnaît lui-même la trahison de la mémoire et les fantasmagories du souvenir servis par une culture littéraire et historique dont il revendique l’influence.

En introduction, il prévient le lecteur : « On ne pourrait en vouloir au chroniqueur puisqu’il ne rapporte que des visions évanouies. De tous les épisodes racontés dans ce livre, il ne reste aujourd’hui aucune trace. Aucun film n’a été tourné, aucun discours n’a été enregistré. ». Son Théâtre de Corbigny sera alors à l’image du Théâtre Antoine dont la mise en scène et les principes « naturalistes » semblent parfaitement s’adapter aux souvenirs ressuscités. « Le Grand Théâtre de Corbigny – nous dit aussi l’auteur – est devenu, pour une part, un magasin à décors, pour des pièces qui ne sont plus jouées. Il reste des didascalies, le texte a disparu, les acteurs sont morts. »

Ce livre, en partie autobiographique et publié à compte d’auteur, mériterait une diffusion plus large, compte tenu de l’approche totalement originale de ce que Jean-Claude François avoue, malicieusement, être une autobiographie qui serait celle du regard face à la chose vécue plutôt que de la chose vécue elle-même. L’influence de Jules Renard – qu’il revendique d’ailleurs – se retrouve dans ce que l’on pourrait considérer comme une comédie « naturaliste » mais où l’humour, le pittoresque, la saveur des mots et la dérision qui permet d’atténuer la cruauté ou le tragique parfois, nous renvoient à Rabelais. La truculence du langage, la paillardise, peuvent voisiner avec la tendresse. Les courtes phrases incisives et percutantes, la saveur du patois dans les dialogues nous immergent avec délice dans un univers aujourd’hui oublié, convivial ou conflictuel selon les situations et les personnalités.

On regrette de devoir sitôt quitter ces pages et nous aurons du mal à oublier les parties de pêche, la préparation du lapin ou des escargots, les situations savoureuses et pittoresques où les prétextes à libations sont multiples.