Jean d’Ormesson : Je dirai malgré tout que cette vie fut belle

jeudi 23 juin 2016, par Denis Dabbadie

Gallimard, 2016

Pourquoi ne prend-on pas au sérieux Jean d’Ormesson ? En effet, après en avoir été le plus jeune membre, il est aujourd’hui le doyen d’élection de l’Académie française. Entré vivant dans ce panthéon de l’édition qu’est la bibliothèque de la Pléiade !
La faute à lui-même, sans doute. Il est le premier à pointer le petit nombre de nos Immortels passés à la postérité. Et, davantage qu’à France Culture, il se (com)plaît dans les émissions de télévision people, se définissant, non sans raison, comme « un bon client » : on ne s’en étonnera pas puisque, comme il le rapporte, il a « les yeux de Michèle Morgan et le nez de Raymond Aron ». Il n’ignore pas qu’à côté du pétillement de ceux-là, plus personne ne remarque celui-ci.

On trouve ce portrait minimaliste dans son nouveau volume autobiographique, qui retient surtout par son dispositif. Conscient de son art de la répartie (sa seule incursion dans le genre dramatique s’intitule La Conversation, duel entre Bonaparte et Cambacérès), l’auteur choisit la forme du procès. Deux moi s’affrontent ici : son Sur-moi exige de l’autre de répondre enfin de son parcours et de sa carrière. Il faut pourtant reconnaître que souvent la plume s’abandonne – plus que son auteur –, cédant alors à une narration classique malgré l’affirmation : « Vous n’imaginiez pas que j’allais me contenter de vous débiter des souvenirs d’enfance et de jeunesse ? Je ne me mets pas très haut, mais je ne suis pas tombé assez bas pour vous livrer ce qu’on appelle des Mémoires ».

Il aurait presque pu reprendre les titres de Marcel Pagnol : La Gloire de mon père, Le Château de ma mère, Le Temps des secrets, Le Temps des amours, s’en tenant d’abord à un ordre chronologique, puis à de grands thèmes : la littérature, le journalisme, l’eau, le temps.

Il a préféré un alexandrin d’Aragon, l’une de ses admirations toujours proclamées. C’est l’une de ses grandes qualités : son désir, entre les coups de griffes, de faire partager ses coups de cœur. Au lecteur d’admirer cet « inepte nageur des deux rives » lorsqu’il déclare : « je ne posséderai jamais ni portable, ni fax, ni ordinateur, ni tablette. Je ne tiens ni à être joint ni à être connecté ». Et l’amateur apaïste apprécie de lire : « ma mémoire est pleine de trous et, si beaucoup de mes romans sont en fait des souvenirs, mes souvenirs, à leur tour, ne sont guère que du roman ». Il se rappelle encore une lectrice de son plus grand succès, Au plaisir de Dieu, qui s’étonnait de l’absence de son oncle Wladimir dans ce récit : « Madame, mon livre est plein de souvenirs et d’événements vécus. Mais il est aussi et surtout un roman. Il suit la réalité de très loin et beaucoup de ses thèmes sont inventés ». La dame était consternée : « Inventés ! Et moi qui croyais que vous aviez tant de talent... »
Ainsi se présente-t-il aujourd’hui comme « une sorte de bouchon en train de flotter gaiement sur les eaux de la culture ».

Ceux qui ne s’en contenteront pas pourront se replonger dans son cher Chateaubriand, qu’il cite abondamment : « Rompre avec les choses réelles, ce n’est rien. Mais rompre avec les souvenirs !… Le cœur se brise à la séparation des rêves ».