Jean d’Ormesson : Je dirai malgré tout que cette vie fut belle

lundi 5 juin 2017, par André Durussel

Éditions Gallimard, janvier 2016

C’est toujours un plaisir que celui de se plonger dans un nouvel ouvrage de cet académicien français, âgé aujourd’hui de quatre-vingt douze ans, parce que cet auteur incarne non seulement une formidable traversée historique et culturelle, mais aussi et surtout parce qu’il n’a rien perdu de sa vivacité d’esprit et de son humour, ce "plaisir" qu’il évoquait déjà en 1956 sur les pages de son premier roman publié aux Éditions René Juillard, au temps de sa jeunesse, une "jeunesse du cœur" que le grand âge n’a point ternie. Et c’est peut-être pour cela que ce dernier opus d’un véritable "traité de vie" se lit comme un roman, mais un roman qui est en réalité la suite d’une éternelle autobiographie où un personnage, ce "Moi", dialogue avec son double, un "Sur-moi" très actif et qui, en philosophie par exemple, va tout apprendre avec Jeanne Hersch (1910-2000) et son célèbre concept de liberté.

Son entrée dans le monde du journalisme, et auprès du Figaro en particulier, dirigé par Pierre Brisson à partir du milieu des années 1930, puis devenu directeur lui-même une vingtaine d’années plus tard, font aussi l’objet de pages fort intéressantes, effondrées aujourd’hui dans les tourbillons de l’histoire. Mais Jean d’Ormesson est aussi un habile chroniqueur. Non content de débiter des souvenirs d’enfance et de jeunesse avec une précision époustouflante, accompagnés d’un volumineux et utile index alphabétique des noms de personnes, qui va d’ Abélard à Stefan Zweig, ainsi que d’un index des noms de lieux cités, il précise d’emblée : "Je ne suis pas tombé assez bas pour vous livrer ce que l’on appelle des Mémoires". Or, paradoxalement, nous sommes bien là placés en présence d’une œuvre historique et littéraire ayant pour objet sa propre vie, une vie où ce "très-bas" devient au fil des pages un "très-haut". Certes, l’auteur n’est pas uniquement un mémorialiste, parce que l’avant-dernier chapitre, mais aussi et surtout le dernier, intitulé "Le chemin, la vérité et la vie", est un véritable hymne à la confiance et à la sérénité, malgré tout. Un titre dont la référence johannique n’est certainement pas le fruit d’un seul hasard.

Cette confiance, d’une extrémité à l’autre de ce livre foisonnant, devient dès lors comme une lampe qui éclaire désormais le soir de sa propre vie. Et comment ne pas rapprocher ici Jean d’Ormesson de l’écrivain Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947), celui qui notait sur les ultimes pages de son journal : "Même dans les pires moments, je n’ai jamais cessé d’aimer passionnément la vie" (25 février 1947). Curieusement, parmi tous les auteurs cités par Jean d’Ormesson, Ramuz n’est pas mentionné. Or, cette analogie d’attitude est pour moi frappante. Elle atteste la dimension universelle d’un immense écrivain.

On peut relire le précédent compte rendu du même ouvrage par Denis Dabbadie