Jean Gandebeuf : La parole retrouvée. Près de 200 Mosellans racontent leur vie entre 1940 et 1945

vendredi 11 août 2006, par Anne Poiré

Serpenoise,1999

Ce livre très émouvant, et déjà ancien, complète Le silence rompu, abordé en 1996 par Jacques Gandebeuf. Cet éditorialiste du Républicain Lorrain a recueilli, cinquante ans après, de très nombreux témoignages de Lorrains, bousculés, blessés, brisés, racontant leur vie ordinaire et extraordinaire, pendant la seconde guerre mondiale, avec toute la diversité que l’on peut imaginer, entre ceux qui furent expulsés - parfois juste à leur retour de l’exode -, ceux qui furent incorporés, - volontairement, ou de force -, ceux qui furent annexés, nazifiés, - soumis ou révoltés - , ceux qui tentèrent de résister, ceux qui furent déportés, transplantés, les Malgré-Nous et même les Malgré-Elles : tous ces cas de figure dans lesquels nul n’a rien eu à envier au voisin...

De ce kaléidoscope de récits, très humains, naît peu à peu l’image des souffrances infligées à ces Français malmenés. Les historiens n’ont pas toujours mesuré l’étendue du séisme vécu par ces populations déchirées, aux difficultés amplifiées par des frontières linguistiques spécifiques, - beaucoup parlaient allemand, mais pas tous. Ironie du sort, répétition rapprochée du malheur (1870, 14/18, puis 39/45), ce sont des pans entiers, derrière la grande Histoire, d’épopées familiales, incroyables, qui sont ainsi suggérés.

Longtemps, ces récits pathétiques sont restés enfermés dans une gangue de silence, de honte, de malaise. Le mérite de cet ouvrage aura sans doute été, comme l’indique son titre, de conduire vers la parole. La force de ces témoignages, inédits, procède de la grande variété, comme dans la reprise, de ce qui est relaté, chacun se sentant, finalement, abandonné, oublié, en un mot : victime. De l’unique survivant de Charly-Oradour à des destins apparemment « simples », eux aussi passionnants, ce sont des paroles touchantes, qui sont proposées là, parce qu’elles osent enfin dire. Quelques extraits de journaux intimes, datant de l’époque, complètent ces récits plutôt rétrospectifs : l’ensemble construit une constellation qui a sans doute fait vibrer plus particulièrement bien des racines lorraines, comme les miennes... mais ces mêmes souvenirs, présentés à cœur ouvert, ne sauraient laisser indifférents des lecteurs « de l’intérieur », toutes générations confondues, car d’anecdote en aveu, c’est du pacifisme, qui se construit, espérons-le.