Jean-Patrick Manchette : Journal, 1966-1974

dimanche 1er février 2009, par Cécile de Bary

Gallimard, 2008, Folio, 2015

Il n’est pas fréquent de publier des journaux d’auteurs de polars. Manchette n’est cependant pas n’importe quel auteur de polars et le premier tome de son journal était très attendu : il a bénéficié d’une abondante critique. De fait, cette entreprise autobiographique, à laquelle Manchette s’est livré tout au long de sa vie, est en elle-même singulière.

Le tome paru ce printemps correspond aux débuts de la vie professionnelle de Manchette. On y découvre sa trajectoire, à partir d’un statut d’« intellectuel prolétaire » (on dirait aujourd’hui « précaire ») jusqu’à celui d’écrivain reconnu, mais qui doit encore accumuler les travaux de commande pour vivre. Le journal est ainsi un document très précis sur cette socialisation autant que sur ces conditions de vie. La course aux échéances s’oppose à son bonheur amoureux et familial, qu’il souligne de manière constante.

En ce qui concerne la genèse de ses romans, il est plus discret, malgré certaines indications intéressantes. Il en fait surtout un bilan critique, les relisant lorsqu’intervient l’éditeur. De plus, on trouvera dans le journal des réflexions qui annoncent les chroniques portant sur le cinéma ou le polar.

Son écriture elle-même est originale, puisque Manchette privilégie les faits, aux dépens le plus souvent des sentiments. Ce que Manchette note, ce sont ses lectures et les films qu’il voit (ouvrant encore des cahiers critiques). Il précise aussi ses positions politiques, proches du "conseillisme" et du situationnisme. Le journal est donc le reflet de l’exigence théorique qui était celle de l’époque. Cette préoccupation explique également qu’il fasse une très grande place à l’« historiographie », pour reprendre le titre d’une rubrique récurrente. Il y énonce les événements d’actualité, y traquant le « travail du négatif ».

Cette préoccupation explique encore une autre singularité, celle du collage d’articles de journaux. De ce point de vue, les choix de l’édition ne donnent pas vraiment une idée des cahiers de départ, puisque la mise en page est « linéarisée ». C’est une édition grand public qui a été voulue, et un encart présente quelques photographies qui donnent une idée de l’original. Du fait de ces choix, les quelques passages supprimés ne sont pas indiqués. Il n’y a pas non plus de notes explicatives, qui auraient pourtant éclairé le lecteur, tant les noms propres abondent.

Si le journal est parfois répétitif, il rejoint un peu l’impersonnalité recherchée des romans, avec des passages très saisissants. On y retrouve certains traits d’écriture comme le zeugme et surtout la liste, souvent hétéroclite. Enfin, cette parution est à rapprocher du dépôt des manuscrits de Manchette à la Bibliothèque nationale de France. Ce fonds comporte en effet de nombreux inédits, notamment des scénarios (peu de temps après le journal, le fils de Manchette a d’ailleurs fait paraître dans le n° 11 de la revue Temps noir plusieurs scénarios ou synopsis inédits, certains mentionnés dans le journal). Le journal, avec ses milliers de pages, en est un élément central. Souhaitons que d’autres volumes nous permettent d’en découvrir la totalité.