Jean-Paul Kauffmann : La maison du retour

vendredi 16 août 2013, par Geneviève Mazeau

NiL éditions, 2007

Après avoir été détenu durant trois années au Liban en tant qu’otage, l’auteur choisit d’aller vivre loin du monde. Il se laisse séduire par une maison abandonnée située dans les Landes, qu’il achète et entreprend de restaurer avec l’aide de deux maçons taiseux et les conseils d’un ami architecte. La réhabilitation de la maison est une belle allégorie pour dire la restauration personnelle que l’auteur effectue après le cauchemar qu’il a vécu, lequel, on le devine, n’est pas une expérience partageable.

De sa détention, aucun récit à proprement parler, il ne peut « relater l’innommable », même vingt ans plus tard. Seulement quelques allusions suffisamment éloquentes. Il nous dit par exemple combien les livres l’ont sauvé : « Quand on n’a plus rien, s’appuyer sur une histoire- même pas une histoire, des lignes suffisent, des phrases pourvu qu’elles soient à peu près cohérentes-, c’est se constituer un bouclier contre le monde hostile. La lecture plus que la littérature m’a sauvé. Les mots me suffisaient, ils instauraient une présence. Ils étaient mes complices. Du dehors, ils venaient à mon secours. Ils sortaient de la cellule à leur guise. Enfin je pouvais compter sur un soutien de l’extérieur. Le sens était secondaire. ». Ou encore : « Tout prisonnier est un prisonnier de la perception ». Et cette réflexion nous éclaire sur l’importance qu’il accorde depuis lors, à l’olfaction, au regard, à l’ouïe, à la contemplation de la nature, source de vie. Ce n’est pas tant le sens qui importe mais les sens. « Aux Tilleuls, j’ai retrouvé ma mémoire sensitive ».

Dans cet univers végétal, les éléments sont omniprésents, la pluie qui ruisselle, l’orage qui gronde, le vent dont la force inépuisable le ragaillardit, le froid polaire ou la touffeur de l’été ; les oiseaux l’animent : les grives musiciennes, les merles qui donnent l’impression d’être toujours hilares. Quant aux arbres, ils sont sujets d’observation et l’auteur établit avec eux une sorte de compagnonnage. C’est avec une indéniable poésie qu’il nous parle de ses deux platanes fidèles et encombrants, de ses lectures virgiliennes dues au hasard, des tilleuls parfumés qui ont donné leur nom à la maison, de son goût et sa connaissance du vin et de toute cette nature qui a participé de cette reconstruction de soi dans une solitude choisie et bienfaisante.

Parfois au cours du texte, un événement d’actualité fait irruption, la fatwa émise à l’encontre de Salman Rushdie, la mort de l’ayatollah Khomeyni, réveillant probablement l’angoisse de la captivité.

Ce livre est une ode magnifique à la nature par quelqu’un qui renaît à la vie après avoir été odieusement coupé du monde. Au fond de cette forêt, en marge du temps, il retrouve un élan vital, il refait surface, il se transforme. Il mu(t)e. S’il nous dit combien les livres l’ont sauvé, il s’aperçoit que son goût des livres s’est déplacé sur les arbres. Retour aux sources encore, à la matière première, ne fabrique-t-on pas la pâte à papier à partir du bois ? Cependant, l’auteur garde une dette envers les livres qui l’ont tiré du danger et c’est la raison pour laquelle, dit-il, il écrit. « Écrire non pour trouver un sens à cette agression, car elle n’avait aucun sens, mais explorer, fouiller. L’essentiel était la quête ».

Ce livre pudique et fort, permet d’appréhender ce que provoque la détention, dans le cas particulier des otages. Il met en exergue la nécessité vitale de recouvrer les sens et d’être baigné dans un environnement sensoriel comme aux premiers jours de la vie, de revenir à un temps d’avant le langage, avant de renouer le contact avec les proches et de réintégrer la vie ordinaire.