Jean Paul Wenzel : Tout un homme

vendredi 14 décembre 2012, par Nicole Lamboley-Kondé

J’ai conservé un commentaire de Denise sur les journées de l’APA à Strasbourg, plus précisément sur l’atelier du dimanche 13 juin 2010 où fut présenté le projet du cahier Maghreb. Après avoir loué les différentes interventions, Denise concluait pourtant : « Mon seul regret : aucun témoignage de Maghrébins ». Regret que je partage. J’ai cherché dans le Garde-Mémoire « travailleurs maghrébins » et je n’ai rien trouvé. Il y a là un problème qui pour des raisons personnelles me préoccupe depuis longtemps. Tout un pan de la mémoire de ces hommes venus travailler en France et de leurs familles risque de disparaître. J’ai personnellement à différentes reprises invité de jeunes Français maghrébins à raconter la vie de leurs grands-pères ou de leurs pères mais toujours sans succès. Pudeur ? Peut-être, je ne sais.

Je suis allée voir au théâtre des Amandiers à Nanterre Tout un homme de Jean Paul Wenzel. Enfin un auteur de théâtre donne la parole à deux de ces travailleurs maghrébins !

Ahmed Benméziane, Algérien né en 1947 raconte comment il est venu en France en 1963, ses différents emplois à Paris ou en banlieue, comment en 1971, suite à un décès dans la famille de sa femme Leïla, le jeune couple doit venir s’installer à Merlebach. Ahmed, n’a pas le choix, il sera mineur de fond. Le second, Saïd, un jeune Marocain, apprend en 1973, que la France recrute des mineurs. Il répond à toute une série de convocations. Sa candidature est retenue. Et c’est ainsi qu’il sera mineur de fond à Lens jusqu’à l’heure de la retraite.

Ahmed comme Saïd évoquent la peur, l’épuisement mais aussi l’extraordinaire solidarité au fond de la mine, la nostalgie du pays qu’ils ont quitté, où ils retournent aussi souvent que possible mais découvrent que là-bas aussi ils sont devenus des immigrés. Ils connaissent la déception de voir leurs propres enfants rejeter ce pays auquel, eux, sont encore tellement attachés. Mais cette vie difficile qui fut la leur, ils l’ont construite avec pugnacité et ils sont en droit d’en être fiers.

Comme l’explique Jean Claude Wenzel, Tout un homme est nourri « des dizaines de témoignages de mineurs maghrébins recueillis par des sociologues en Lorraine, en Algérie et au Maroc, et nourri des rencontres qu’ il a faites au cours de (son)séjour à Forbach et dans les environs ». Il ajoute : « Les paroles de ces hommes et de leur proches m’ont bouleversé à double titre : non seulement l’épopée humaine dont chacun témoignait dans ces entretiens était considérable, mais leur manière de la transmettre aussi : des récits transcendés par le travail du temps, de la mémoire, avec des envolées, des silences, des tremblements, des éclats de voix, de rire aussi des mots noués. »

C’est tout cela que Jean Claude Wenzel a su rendre dans le texte confié aux comédiens et comédiennes. Les décors, la mise en scène, les musiciens, le jeu des acteurs, nous offrent un très grand plaisir théâtral et nous font revivre une page d’histoire toujours menacée d’oubli.