Jean-Pierre Thorn : L’âcre parfum des immortelles

vendredi 1er novembre 2019, par Roseline Combroux

Film documentaire - 2019

Voici un film qui retrace le parcours d’un homme profondément inscrit dans les luttes ouvrières mais qui est aussi un homme pleurant son « grand amour enseveli » (Joëlle, morte à vingt-cinq ans du paludisme). Les lettres qu’ils se sont échangées rythment le film. Elles sont lues en voix off et porteuses d’un esprit de révolte. Les superbes photos en noir en blanc de Joëlle nue se dispensent de mots, suffisant à exprimer tout leur amour.

« J’ai refusé sa disparition. Pour moi elle est vivante à jamais. Pour "sauver ma peau" j’ai abandonné le cinéma : je me suis établi en usine comme ouvrier spécialisé (O.S.) - anonyme puis syndicaliste - dans la métallurgie parisienne à l’Alsthom Saint-Ouen. »

Dix ans après, il reprend sa caméra pour filmer ses compagnons en grève. À partir d’extraits de ses précédents films, il nous plonge dans les luttes ouvrières depuis 68 jusqu’aux combats d’aujourd’hui et jusqu’à des gilets jaunes sur un rond-point. Il découvre la culture hip-hop développée par les enfants de ses anciens compagnons d’usine, une forme de révolte qu’il filme pour les faire sortir de leur ghetto. De la puissance de ces danses se dégagent énergie et espoir.

« Un demi-siècle après je me retourne sur ce passé qui me hante et tente de ressusciter ses promesses, que l’on disait ensevelies, mais qui sont toujours bien vivantes, comme le corps de mon amante qui m’habite toujours autant. Que reste-t-il de nos rêves, de notre rage, de nos utopies ? »

C’est un film d’une profonde poésie. À travers la célébration de son amour disparu, il exalte avec tendresse, sans nostalgie, les figures rebelles de son passé qui le ramènent sur les lieux de ces moments enfouis. Tout est subtil dans ce film, l’assemblage des images de différentes époques (films de luttes, films de famille, photos de Joëlle, films de paysages) s’enchainent avec grâce, nous maintenant sur le fil du récit, sans jamais nous perdre. Un dialogue entre présent et passé. Les silences nous laissent vagabonder. La chaleur des voix nous plonge dans un cocon. Un journal intime filmé.

Tout comme les immortelles, les images de ce film ne se faneront pas pour moi.
« Une métaphore, une allégorie volontairement hybride, traversée de déchirures… Un chant d’amour. Mon "temps des cerises" ».