Jeanette Winterson : Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?

dimanche 25 novembre 2012, par Catherine Vautier-Péanne

L’Olivier, 2012

Ce livre est l’histoire de l’auteure, née en 1959 dans une petite ville industrielle du nord de l’Angleterre, dans la banlieue de Manchester. Son récit nous mène de son enfance auprès de ses parents adoptifs – un couple de Pentecôtistes - une mère obsédée par l’Apocalypse qu’elle appelle de ses vœux et un père falot, totalement dominé.

« Comme la plupart des gens, j’ai longtemps vécu avec ma mère et mon père (*). Mon père aimait regarder les combats de catch, ma mère, elle, aimait catcher ». Jeanette Winterson revient d’emblée, se citant elle-même, sur Les oranges ne sont pas les seuls fruits publié il y a vingt-cinq ans et qui racontait la même histoire, mais romancée : « Ce qui m’attriste le plus dans cette légende que sont Les oranges (réédité par l’Olivier) c’est que j’ai écrit une histoire avec laquelle je pouvais vivre. L’autre était trop douloureuse. Je n’y aurais pas survécu » (p. 15).

Le ton est donné : la dureté rime avec la truculence des mots, l’ironie cassante avec la plus grande tendresse. Au détour d’un paragraphe on apprend qu’un petit Paul était tout d’abord attendu par sa mère adoptive qu’elle n’appelle jamais maman mais Mrs Winterson, voire Mrs W, comme si la réduction de sa mère à cette seule initiale pouvait réduire son poids colossal – au propre comme au figuré, elle pesait cent vingt kilos – dans sa vie. Nous ne saurons pas ce qui s’est passé. « Le Diable nous a dirigés vers le mauvais berceau » disait la mère. La petite n’a cessé de hurler qu’à l’âge de deux ans. Elle dit : « A l’évidence, j’étais possédée par le Diable ».

Il ne s’agit pas d’un livre triste mais il est terriblement poignant. Quand, à seize ans, après avoir révélé son homosexualité et subi un exorcisme en règle de la part des autorités religieuses (elle est imbibée de la Bible depuis l’enfance, sa mère la destinant à être missionnaire !), elle quitte le foyer, revendiquant son droit au bonheur. La mère lui lance : « Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? ». Les voisins lui disent que sa mère est folle, celle-ci refuse tout rapport sexuel avec son mari, restant debout toute la nuit à faire des gâteaux pour ne pas partager le lit conjugal.

L’énorme colère qui l’habitait aurait pu la détruire, mais sa force vitale est telle qu’elle n’a jamais abandonné l’idée qu’une vie meilleure était possible. La littérature et la sexualité occupent une large place dans sa vie, la menant envers et contre tout à Oxford – avec l’aide d’un de ses professeurs – puis au métier d’écrivain qu’elle exerce avec succès, couronnée de prix, devenant une figure féministe outre Manche.

Ce n’est qu’à cinquante ans, après la mort de la mère, qu’elle ose entamer des recherches – longues et compliquées à cause de sa notoriété – pour retrouver sa mère biologique. Cette quête occupe le dernier tiers du livre, dédié à ses « trois mères » (sic) : à Constance Winterson, Ruth Rendell – qui l’a soutenue de son amitié indéfectible – et Ann S., sa mère biologique : « L’inné et l’acquis m’intéressent. J’ai remarqué que je déteste entendre Ann critiquer Mrs Winterson. C’était un monstre, mais c’était mon monstre à moi ». Ses romans et essais, notamment sur l’identité sexuelle (Le sexe des cerises Plon 1995 – Powerbook, l’Olivier 2002) ont imposé sa voix singulière dans la littérature britannique.

(*) noter l’inversion de l’expression usuelle « mon père et ma mère », c’est moi qui souligne