Jérôme Garcin : Olivier

dimanche 1er mai 2011, par Geneviève Mazeau

Gallimard, 2011

Poussé par un besoin de livrer à haute voix le conciliabule permanent entretenu depuis plus de 50 ans, Jérôme Garcin écrit un livre pour Olivier, le jumeau disparu accidentellement et prématurément à l’âge de 6 ans. Livrer pour se délivrer. Écrire pour « libérer tout ce qui était empêché, claquemuré, prisonnier d’une invisible geôle, converser par la seule magie des mots. » « L’écriture m’a sorti du silence où je m’enfermais, m’a permis de désigner les ombres qui me hantaient, m’a soigné d’une pudeur maladive, m’a forcé à avancer... et elle m’offre aujourd’hui de t’écrire comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. »

Jérôme Garcin raconte à son « si présent absent » ses rencontres, son mariage, ses enfants, son métier, sa passion des chevaux (« monter est un beau verbe ascensionnel »), son penchant pour la « campagne dont il aime le discret ennui, l’imperceptible mélancolie, le temps alangui, le spectacle métronomique des saisons, la tendresse familiale, la visite aux morts et la farouche inactualité, cette campagne qui lui restitue tous les frissons de [leur] enfance. »

De ce goût des chevaux et de la campagne surgit une évidence : l’équitation est une activité gémellaire, qui donne le plaisir d’avoir quatre jambes et quatre yeux, d’avoir le sentiment étrange d’être deux et pourtant de ne faire qu’un.

Au fil du récit, le lecteur est introduit dans l’univers de la gémellité, expérience troublante, dotée d’un langage secret et primitif, poétiquement nommé « l’éolien », terme emprunté à Michel Tournier. Et cette expérience qui échappe au commun des mortels constitue toute l’originalité de ce livre. Constat et questions tournent autour du manque, provoqué par la mort du jumeau. « A mesure que je vieillis, je me sens gagné par un sentiment croissant d’incomplétude, une manière de boiterie, invisible mais récurrente. » [...] « Moi qui me croyais entier, je me découvre aujourd’hui incomplet... Suis-je devenu depuis ta mort un singulier ou est-ce que je continue d’être sans toi un gémellaire ? M’as-tu en disparaissant si tôt, permis de vivre plus, de réussir mieux ? »

En contrepoint de ce dialogue intime avec son double manquant, l’auteur évoque sa relation à Anne-Marie, solide et sûre. Sans doute est-elle aussi habitée par une autre expérience de la mort, celle d’un père mythique (Gérard Philippe), mais elle est une force de vie. Anne-Marie, « m’a métamorphosé. Elle a brisé une de mes digues... J’ai appris à me démasquer sans redouter le jugement d’autrui. Je n’ai pas craint d’oser dire en pleine lumière, voici ce que je suis, d’où je viens, où je vais. »

« Olivier » est un beau livre autobiographique qui traite du double et du manque, avec tendresse et authenticité. Par une remontée dans le temps, imprégnée de l’obsédante recherche d’un lointain écho perdu, l’auteur a trouvé l’apaisement, grâce au pouvoir libérateur de l’écriture. Et en dépit du drame évoqué, ce retour à la source a favorisé le passage du flou au fluide.