Joseph Morder : La Duchesse de Varsovie

dimanche 15 mars 2015, par Élisabeth Cépède

Film, 2014

Encore une fois, Joseph Morder, fouille sa mémoire hantée par la Shoah. Mais il se renouvelle en créant une œuvre hybride, conte moral, hommage au cinéma américain et autofiction. La fantaisie du générique rappelle l’inventivité des années cinquante, une musique dansante de Jacques Davidovici le soutient créant immédiatement un climat onirique heureux.

Je redoutais un peu ce film, hommage à Paris, joué devant des décors peints. Mais les retrouvailles pleines de tendresse de la grand-mère (Alexandra Stewart) et de son petit-fils (Andy Gillet) à la gare, émeuvent le spectateur qui devine l’attente anxieuse qui a précédé, et s’attache volontiers à leurs pas. Nina et Valentin se ressemblent : mêmes traits réguliers, yeux bleus, sourires esquissés, timides. Grand-mère et petit-fils se sentent comme deux apatrides dans leur ville d’adoption. Ils vont s’y promener plusieurs jours dans ces visions colorées qui évoquent le Paris touristique des comédies musicales de Minnelli, Stanley Donen et Gene Kelly, et qui est aussi celui de l’étudiante qu’y fut jadis Nina. Pour l’heure, le jeune peintre Valentin se sent flottant et en panne d’inspiration. Facétieux, Morder invente une visite au Louvre où Nina et son petit-fils s’attardent sur le portrait de Mona Lisa, (retravaillé par Juliette Schwartz !). Valentin veut tout savoir du passé de sa grand-mère. Le silence gardé par la famille pèse sur lui, retenant peut-être, ses gestes sur la toile. A travers le dialogue confiant des protagonistes, le film expose les approches de deux êtres qui s’aiment, l’un avec l’élan avide de la jeunesse, l’autre plus réservée. Il suit les progrès assez lents de cette relation. Les comédiens disent plus qu’ils ne jouent, le texte de Harold Manning, avec une conviction légère, comme s’ils l’inventaient devant nous.

Et Valentin arrive à ses fins, Nina va raconter sa jeunesse fracassée de déportée juive-polonaise. Elle montre à Valentin le journal qu’elle tenait alors (qui est celui tenu par la mère de Joseph Morder). Aux déambulations dans un Paris ensoleillé de peintures fraîches, succèdent des séquences où le visage de Nina-Rachel est filmé sur fond noir, en gros-plan, dans des cadres ovales d’autrefois. Elle consent enfin à se souvenir et à raconter comment le surnom de « Duchesse de Varsovie » lui fut donné par ses compagnons du ghetto. Emotion et retenue se mêlent et fragmentent le récit en séquences courtes. Le léger accent de la comédienne ajoute de la crédibilité aux confidences d’une Polonaise. Dans un sursaut Nina revient de sa descente aux enfers pour clamer son émerveillement devant sa « capacité de survie ». La transmission a pu se faire. Valentin va repartir. Allégé d’un secret douloureux, fort de la confiance de Nina, nul doute que l’inspiration le visitera. On est dans le monde merveilleux du cinéma qui permet à Morder une facétie inattendue : oui, c’est vrai, par deux fois, elle survole Paris, drapée de rouge ! Qui ? La Duchesse de Varsovie, ange gardien et mère tutélaire ! Incroyable ? Courez voir !