Julie Wolkenstein : Et toujours en été

vendredi 17 juillet 2020, par Bernard Massip

P.O.L. , 2020.

Dans plusieurs des précédents romans ou récits de Julie Wolkenstein apparaissait en fond du décor la villa de Saint-Pair-sur-Mer, dans la Manche, où l’auteure a passé la plupart de ses vacances depuis son enfance. Elle fait aujourd’hui de ce lieu si important pour elle le cœur d’un nouveau récit.

Le texte se présente comme un « escape game », ce type de jeu vidéo dans lequel le joueur avance à la découverte d’un lieu clos, passant de pièce en pièce, ouvrant les portes en résolvant des énigmes ou en s’aidant d’objets, parfois incongrus, récoltés au cours de la progression.

Chaque chapitre va donc présenter au lecteur une des pièces de la maison, son décor, les tableaux accrochés à ses murs, les bibelots posés sur les meubles mais aussi toutes sortes d’objets de la vie quotidienne dans une maison de vacances en bord de mer, bottes en caoutchouc, jumelles de marin, jeu de scrabble, annuaire des marées ou magazines abandonnés dans les toilettes, entre beaucoup d’autres… Et les lieux comme les objets amènent les souvenirs qui sont la matière véritable du récit. Magie du jeu, la manipulation de certains objets permet de basculer entre les époques et ainsi de nous faire découvrir la maison, ses occupants, l’auteure elle-même à différentes périodes et différents âges de la vie. La voici adolescente dans les années 1980, se pomponnant devant le miroir en attendant impatiemment la voiture des amis qui l’amèneront danser en boîte à Granville, la voici jeune femme en 2006 décidant avec son frère, après le décès du père, de conserver la maison, la voici mère de famille arrivant avec ses deux préados en aout 2017 dans la maison vide... Les fonctions de certaines pièces changent avec le temps et le mobilier suit ces reconfigurations. La salle du ping-pong au rez-de-chaussée est aménagée en bibliothèque et bureau, la cave qui fut un temps le lieu des boum adolescentes accueille plus tard le ping-pong, la télévision et les DVD font leur apparition pour meubler les journées de pluie, le salon mêlant décoration arts-déco et mobilier « du style bunuelo-pompidolien » des années 70, est complétement reconfiguré après l’attaque de mérule que subit la maison en 2002, nécessitant une quasi-reconstruction des pièces attaquées.

Et bien sûr planent sur la maison les fantômes des personnes qui cessent d’y venir, soit à la suite de recompositions familiales, soit de façon définitive et poignante, à la suite des décès. Ainsi celui du père, l’acquéreur de la maison et maître des lieux, jamais nommé mais dont on sait qu’il s’agit du journaliste, critique et écrivain, Bertrand Poirot-Delpech. On le devine en père de famille libéral à la fois affectivement présent mais peu concerné par la gestion quotidienne, en écrivain travaillant dans son bureau bibliothèque, en grand-père fatigué scrutant aux jumelles les îles Chaussey et les voiliers passant au large de la villa. Mais plane aussi et peut-être surtout, l’ombre du grand demi-frère ainé. Ce n’est pas un hasard si beaucoup des signes qui déclenchent la remontée des souvenirs sont datés de l’été 2017, comme un horaire des marées ou un numéro du magazine Elle. Reviennent à plusieurs moments, comme une reprise dans une pièce musicale, ces derniers échanges de regard, ce dernier signe de la main échangé avec lui, tandis que sa moto s’éloigne dans un petit matin froid de novembre 2017…

C’est l’auteure qui est maintenant en charge exclusive de la maison. Significativement elle s’est installée dans la grande chambre du premier étage, celle qu’occupait son père, laissant sa chambre de jeune femme aux générations nouvelles. Elle profite de la maison, de la mer, reçoit ses amis, voit ses enfants grandir et porte un regard tendre sur certains de ses propres comportements d’adolescente qu’elle retrouve en eux, sous les formes nouvelles qu’induisent l’époque. La vie continue. Elle pensait intituler son livre La fin de l’été. Elle a préféré finalement Et toujours en été pour marquer ce qui perdure. Dernière phrase du livre : « L’été ne fait que commencer ».

On se plaît à ce récit tout à la fois léger et profond. La mélancolie y est bien présente ainsi qu’une forme de gravité face au temps qui passe implacablement et aux deuils inévitables, gravité qu’atténue heureusement la construction ludique du récit. Et les descriptions minutieuses des objets, des décors, des activités vacancières de bord de mer, des musiques évocatrices de telle ou telle année, ramènent leur époque et ne manquent pas d’avoir un effet madeleine sur le lecteur, ressuscitant en chacun des souvenirs analogues.