Justine Augier : Croire. Sur les pouvoirs de la littérature

dimanche 12 mars 2023, par Pierre Kobel

Le titre entier est une affirmation en soi. Ce livre met en avant trois femmes de tête Razan Zaitouneh, Marielle de Sarnez et Justine Augier. Cette dernière a écrit un livre puissant sur la première : De l’ardeur paru chez Actes Sud en 2017. Elle est la fille de la deuxième qui fut une militante politique d’importance, bras droit de François Bayrou, ministre éphémère du premier gouvernement d’Édouard Philippe, active et engagée jusqu’à sa mort survenue en janvier 2021 des suites d’une leucémie foudroyante. Si elle se réfère à ces deux femmes dans son nouvel opus, c’est parce que chacune à sa façon lui a insufflé l’énergie qui était la sienne, parce que toutes deux ont placé les mots au cœur de leur action et de leur existence.

Lorsque Justine Augier construit ce projet, c’est pour faire face à l’écrasement du temps, des identités, des espoirs, de la langue dans le monde contemporain. Elle veut revenir à l’essentiel et mettre en avant le potentiel résistant que peut être chaque lecteur. La maladie de sa mère et l’encouragement de cette dernière à écrire ce livre comme une demande de promesse avant de mourir, « Il faut que tu l’écrives, ce livre sur la littérature et ses pouvoirs », lui confère une dimension intime et conduit l’auteure à traduire cet intime dans une dimension sociale.

Parce que la maladie l’a rapprochée de cette mère dont elle s’était éloignée à partir de l’adolescence, en termes de convictions et d’engagements et parce qu’elle ne voulait pas lui être identifiée, elle tire de cette expérience la prise de conscience du poids des mots contre l’oubli, de leur relation à la mort, de l’outil de transmission qu’ils sont. Croire est un manifeste pour dire combien la littérature est un lien entre les hommes et un moyen d’appréhender la complexité du monde face aux idéologies. Si elle ne peut modifier le réel, elle peut prolonger des liens par-delà la mort et participer du deuil. Justine Augier écrit : « La littérature n’est pas une catharsis. Je n’ai pas écrit pour clore quelque chose, mais pour que ça continue de déborder. La présence de ma mère, comme le chagrin. »

Ce livre est à la fois une remise en cause de soi, une conversation avec soi autant qu’avec les lecteurs. Il dit au fil des pages et des citations auxquelles l’auteure a recours « pour lutter contre l’impression d’un sol qui se dérobe, mais aussi pour s’y mettre à plusieurs », la puissance des mots et de l’art face aux épreuves. Revenant à la personne et au parcours extraordinaire de Razan Zaitouneh, Justine Augier explique : « La langue de nos débats publics s’abîme dans la déconnexion entre les mots et ce qu’ils tentent de recouvrir, et l’on peut dire Nous sommes en guerre sans que personne ne soulève l’indécence de cette phrase quand d’autres ailleurs sont effectivement sous les bombes. Cette déconnexion cynique entre ce qui advient et le récit qu’on en fait, le mensonge, sont devenus des modes de discours si communs que rien ne compte plus vraiment. Razan secoue notre torpeur : il nous faut retrouver le pouvoir perdu de la langue. »

À l’heure où l’APA s’intéresse à « l’intime revisité  », cet essai est un subtil tissage entre l’intime et une projection collective pour conduire à des sentiments universels. Et de citer Annie Ernaux « Au fond, le but final de l’écriture, l’idéal auquel j’aspire, c’est de penser et de sentir dans les autres, comme les autres – des écrivains, mais pas seulement – ont pensé et senti en moi. »