Khaled Miloudi : Les couleurs de l’ombre

lundi 23 janvier 2023, par Pierre Kobel

les Équateurs, 2022

Comment devient-on un bandit ? Un hors-la-loi, un hors la société ? Et comment de la prison est-on conduit à devenir écrivain ou poète ? C’est le parcours de Khaled Miloudi qu’il raconte dans Les couleurs de l’ombre.
Khaled est né en Algérie, quatrième de dix enfants. Soumis aux principes éducatifs coercitifs et brutaux d’un père ancien militaire, il traverse une enfance de violence et de maltraitance qui le conduira à être placé en famille d’accueil. Plus tard il s’aguerrit par la pratique de la boxe, se fait une réputation de « guerrier » avant d’être condamné une première fois à 19 ans à un an de prison pour une bagarre.
C’est là qu’il se fait remarquer par des anciens qui le prennent sous leur protection et qu’il met les pieds dans le grand banditisme. Sa vie devient une alternance entre la fuite, l’isolement, les idées noires où conduisent les braquages et le danger permanent d’être arrêté. Cependant elle lui permet aussi de belles rencontres amoureuses qui feront de lui un père aimant.

Arrêté après de rocambolesques braquages, il passera 29 ans de sa vie en prison au fil de plusieurs séjours, dont 22 pour le dernier. Il écrit : « En prison, on a très peu de regards posés sur soi et on ne se voit pas vieillir, tous les jours se ressemblent et on n’a pas le reflet de ses rides et de ses cheveux gris qui arrivent. En me regardant dans la glace, j’ai vu toutes mes failles, toute ma suffisance. Cette course folle vers l’argent et aussi toutes ses souffrances, toutes ses solitudes. Et un sentiment de culpabilité qui atteignait son paroxysme ».
Alors qu’il vit ce long enfermement de centrale en centrale, considéré par la justice et l’administration pénitentiaire comme un détenu particulièrement dangereux, il pratique le sport à haute dose quotidienne pour échapper aux tentations du suicide. C’est alors par les mots qu’il trouve sa libération intérieure. « Ils m’ont permis de créer des ponts entre le dedans et le dehors. L’horizon s’ouvrait quand j’entendais le pas du surveillant poussant le chariot de la bibliothèque. Par la lecture et l’écriture, je réussissais miraculeusement à m’extraire de tout ce qui faisait ma condition de détenu longue peine. Les grands auteurs et la poésie m’ont aussi permis à apprendre à me connaître. Et à faire éclore ma sensibilité. Elle a toujours été là, en moi, bien qu’annihilée par mon enfance marquée par l’extrême violence de mon père. Je me suis rendu compte que ce dont j’avais besoin, ce n’était pas d’argent, mais d’être près des gens que j’aime. À 52 ans, je me suis découvert un cerveau. Et puis un cœur. Mieux vaut tard que jamais. »

Dès lors il ne cessera plus d’écrire. Amené à rencontrer un poète éditeur dans le cadre d’un atelier d’écriture, il voit pour la première fois un de ses poèmes publiés :
"Je ne veux qu’une chose
Un pont
Rien qu’un pont
Qui relie mes lèvres à tes lèvres
Qui relie mes lèvres aux deux rives
Rien qu’un pont !"
Il engage ainsi une nouvelle vie à la recherche de lui-même et des siens. Libéré le 5 janvier 2021, il témoigne par ce livre de ces différentes vies qui, si elles furent souvent chaotiques, l’ont conduit à échapper grâce à la littérature à un destin infernal. Aujourd’hui, il a trouvé du travail, participe à des rencontres et des ateliers d’écriture en prison. Il a des projets d’écriture personnelle, il a reconstruit sa vie familiale avec ses six enfants et ses petits-enfants.
C’est un homme qui fait face à l’avenir avec des rêves et a choisi de transmettre son expérience pour donner à réfléchir à autrui, particulièrement les jeunes.

Podcast de France-Inter : "Les vies de Khaled Miloudi", trois épisodes de 10 minutes dans l’émission "Des vies françaises" de Charlotte Perry.