Laure Adler : Dans les pas de Hannah Arendt

jeudi 3 août 2006, par Édith Bernheim

Gallimard, 2005

Allemagne, France , Moyen-Orient, USA, c’est le parcours géographique, historique, politique de cette allemande, juive, née en 1906, qui se veut « témoin lucide de son temps » que nous fait suivre Laure Adler.

Personnage hors du commun, Hannah Arendt sera toujours « entre deux bords », par ses origines mais aussi par ses choix sans concessions. C’est une élève fervente, admirative, passionnée de Martin Heidegger, ce philosophe allemand que ses pairs (Sartre, Derrida, Bernard-Henri Lévy) reconnaîtront comme le plus important du siècle et qui aura pourtant été nazi et sans regrets. Elle fait sa thèse sur le « concept d’amour chez Saint Augustin » avec Jaspers, autre grand philosophe (proche de Kierkegaard) qui restera son correspondant et ami.

Après quelques années en France elle se fixe avec Heinrich Blücher, son second mari, aux États Unis. Au début des années 50 en écrivant (en anglais) et publiant Les Origines du Totalitarisme « elle ira au fond du puits ». « Le totalitarisme est la négation de la philosophie traditionnelle ». Voulant assumer « sa judéité dépourvue de tout judaïsme » elle est préoccupée par le sionisme et bien avant la création d’Israël affirme haut et fort que « le projet ne peut exister que s’il accepte les arabes ».

En 1961 pour le New Yorker elle suit le procès Eichmann. Elle voit ce criminel comme un clown et non comme un monstre. De ses réflexions elle tirera Eichmann à Jérusalem, sous- titré La banalité du mal . Plus cérébrale que tendre elle s’interrogera sur les victimes (trop passives ?) L’indignation est quasi générale en Amérique et en Europe. Hannah est couverte d’injures dans la presse, reçoit « des tonnes de lettres d’insultes » elle les lira toutes, les annotera et souvent répondra. On peut ne pas être d’accord avec H.A. mais quand même admirer la vigueur du raisonnement et son courage.

De nombreux livres ont été consacrés à Hannah Arendt celui-ci me paraît le plus intéressant. Ce n’est pas un roman sentimental comme Hannah et Martin de Catherine Clément ; ni un traité qui nécessite une solide connaissance des philosophes de l’Antiquité comme Le génie feminin : Hannah Arendt de Julia Kristeva. Le livre de Laure Adler, à la fois biographique philosophique et politique, s’appuyant sur un immense et sérieux travail de documentation n’oublie pas la personne humaine. Il n’est pas indifférent de savoir qu’une intellectuelle de ce niveau fume en cachette dans les toilettes de l’hôpital où elle est hospitalisée après un accident cardiaque.

Dans sa préface l’auteur souhaitait « dessiner une trajectoire » et ouvrir des « pistes de réflexion » c’est vraiment réussi !