Le banc d’Agnès : hommage

jeudi 4 avril 2019, par Madeleine Rebaudières

« Elle m’a dit, un jour j’irai rejoindre Jacques ici et ça semblait lui faire plaisir (...). Elle avait planté le grand arbre il y a très longtemps et fait installer un banc pour pouvoir s’asseoir près de lui." (JR)

C’est un banc accueillant devant un grand pin, au cimetière du Montparnasse. Agnès Varda avait obtenu son installation tout à côté de la tombe de Jacques Demy mort en 1990. Aujourd’hui, elle va y être enterrée à son tour et il doit y avoir du monde. Déjà la veille, beaucoup de passants y faisaient une halte, en voisins pour qui ce cimetière est un parc que l’on traverse avec plaisir tant il y a de beaux arbres et de beaux monuments. Sans compter les touristes à la recherche des tombes de très nombreuses célébrités : Simone de Beauvoir et Sartre, Langlois, Gainsbourg, etc.

Libération du 30 et 31 mars 2019 a titré son dossier : « Sans toi Varda », qui rappelle Sans toit ni loi (1985), l’un de ses meilleurs films de fiction, d’après un fait divers sur une vagabonde retrouvée morte. Sandrine Bonnaire, qui était à ses débuts, a témoigné de l’importance pour elle de ce rôle qui l’a « inscrite dans le métier ». (Comme Gérard Depardieu, Philippe Noiret, Yolande Moreau, autres acteurs qu’Agnès Varda a fait débuter).

Son documentaire récemment diffusé sur Arte, Varda par Agnès (2019) réalisé avec Didier Rouget, retrace l’itinéraire de cette grande créatrice, jamais à court d’idées et toujours inventive, souvent à contre-courant, marginale et libre. Formée en photographie, elle avait débuté très jeune comme photographe au festival d’Avignon à la demande de Jean Vilar qu’elle avait connu à Sète. Elle avait ensuite fait un film en autodidacte La pointe courte (1955), son premier long métrage, et côtoyé les cinéastes de la Nouvelle Vague. Après Cléo de cinq à sept (1962), Le bonheur (1965), elle réalise beaucoup de documentaires dont Mur Murs sur les peintures murales, des reportages en Chine, à Cuba et aux États Unis (sur le Black Power), et encore des fictions très autobiographiques comme Documenteur (1981) ou Jacquot de Nantes (1991), où elle aidait son compagnon mourant à se souvenir de son enfance à Nantes.

En 2000, Les Glaneurs et la Glaneuse est considéré comme un manifeste pour un cinéma pauvre, sans beaucoup de moyens financiers. L’installation de patates à la 50e Biennale de Venise en 2003 en est la suite. Elle se disait artiste visuelle (et non plasticienne). Elle savait magnifier les petits sujets de la vie quotidienne. En 2006, elle avait réalisé l’installation de L’île et Elle à la Fondation Cartier autour de Noirmoutier (où elle avait acquis un vieux moulin avec Jacques Demy) et elle y avait interviewé les veuves de Noirmoutier, parmi lesquelles elle figurait. (On pouvait visionner successivement les différents témoignages filmés). Elle était présente à l’exposition et parlait avec tout le monde. On peut encore visiter une œuvre vidéo installée dans une cabane, en hommage à son chat Zgougou, dans le jardin de la Fondation Cartier. Avec les chutes inutilisées de ses propres films (des échecs commerciaux) elle avait aussi fabriqué des cabanes-mémoires.

En 2007 elle avait été sollicitée pour rendre hommage aux « Justes de France » au Panthéon et avait réalisé une installation remarquable comportant des photos et des films tournant en boucle sur l’occupation allemande. Son film Les plages d’Agnès,(2008) réalisé pour ses 80 ans, est une quête autobiographique passionnante, et dans le dernier documentaire Varda par Agnès, réalisé pour ses 90 ans, on la voit participer à des master classes, devant de jeunes amateurs ou étudiants, jamais professorale mais soucieuse de transmettre son expérience. Elle a également beaucoup œuvré à la mise en valeur et à la conservation des films de Jacques Demy grâce à sa société de production Ciné-Tamaris.

Elle aimait s’entourer de jeunesse et avait parcouru tout récemment la France en camion avec le street-artiste JR, proposant aux passants de faire leur portrait photographique et de le coller sur les murs : Visages, Villages (2017). Curieuse des autres, jamais en surplomb, elle témoignait d’une belle humanité et, malgré sa notoriété, jamais contaminée par l’argent, elle pouvait se promener en toute quiétude dans son quartier de la rue Daguerre. Je l’y ai vue, accompagnée d’une jeune fille, y faire quelques emplettes dont deux photographies d’un vendeur inconnu qui ignorait sans doute qui elle était. Elle aimait la vie et les photos des gens « ordinaires ».

Voir aussi mon article sur Les plages d’Agnès sur ce site
et celui de Bernard Massip : "Agnès Varda, une vie dans un coffret", dans La Faute à Rousseau, n° 63, 2013 "Cinéma et autobiographie", p. 40 à 43.