Le journal personnel au confessionnal

mardi 4 octobre 2016, par Élizabeth Legros Chapuis

Chercheur au Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes (LARHRA), Caroline Muller s’intéresse notamment à la confession (au sens de la religion catholique) et à la direction de conscience en France dans la seconde partie du XIXe siècle, sujet sur lequel elle prépare une thèse. Dans un « article d’étape » paru dans la revue d’histoire Circé, elle expose comment un corpus de journaux personnels de femmes – tout droit issus du fonds de l’APA – contribue à l’étude d’un aspect du sujet resté dans l’ombre, celui du vécu des pénitentes.

Historiens et sociologues avaient notamment à leur disposition des manuels pour confesseurs ; mais la difficulté était de lire ces documents normatifs « au second degré » pour deviner les comportements réels des confesseurs et de leurs pénitentes. Pourtant, il est reconnu que la confession représente « un des lieux de la construction de la subjectivité moderne ». Caroline Muller souligne ainsi le manque d’une « histoire sociale » de la confession qui s’appuierait sur des sources privées.

Elle expose ensuite la composition de son corpus de journaux personnels de femmes. Ils sont dus à cinq jeunes filles ou jeunes femmes dont les textes s’échelonnent entre 1833 et 1903 : Emilie Serpin, Claire Pic, Soline Pronzat de Langlade, Claire Gastel, Louise Lafargue. Avantage principal : « ce type de sources permet d’étudier la confession telle qu’elle est retranscrite par les diaristes » et d’en voir l’influence sur la vie quotidienne.

Leur analyse conduit également à constater dans la période considérée une évolution du rôle de la confession, qui « peut devenir l’expression de besoins personnels qui n’ont pas exclusivement trait à la religion ». Une relation spécifique, « entre contrôle et confidence, entre introspection et aveu », marquée par la recherche d’une écoute, pas seulement au sujet des interrogations spirituelles, et évoluant progressivement vers une relation de type thérapeutique.

Caroline Muller examine ensuite le discours du confesseur – tel qu’il se reflète dans ces journaux – et son contenu, qui est souvent un encadrement de la vie spirituelle de ses pénitentes, avec des recommandations précises (horaires, etc.) instaurant une véritable règle de vie. L’observation de cette règle est souvent assujettie au contrôle d’une grille d’examen de conscience (l’auteur en donne un exemple en annexe, comprenant une douzaine de critères à compléter quotidiennement avec des notes allant de 1 à 10).

Selon un code moral bien assimilé, il s’agit de surveiller l’âme et le corps, de contrôler les émotions. Les femmes doivent veiller à ne pas laisser leur imagination s’égarer (du côté, évidemment, des zones interdites de la sexualité). En effet, « les confesseurs relaient un discours qui veut que les femmes aient une sensibilité exacerbée et soient particulièrement impressionnables. » Ils convoient également une image de la jeune fille idéale, vertueuse, dévote et ignorante de son corps « jusqu’à la méconnaissance des réalités physiologiques ». Une posture difficilement conciliable avec le destin d’épouse et de mère qui leur est réservé…

La confiance s’avère nécessaire entre le confesseur et sa pénitente ; au fil du temps, leur relation s’inscrit dans une gamme de sentiments allant de la complicité à l’attirance. Il est vrai que le confesseur représente « le seul homme avec lequel jeunes filles et femmes mariées sont autorisées à échanger en tête à tête ». Au risque de la séduction, subie ou imaginée…

Mais la confession reste avant tout « le lieu de l’apprentissage d’un contrôle de soi » et la pratique de la tenue du journal est associée à cet objectif. Objectif qui s’exprime souvent dans les incipit : « on parle de tenir un journal pour réfléchir sérieusement, pour se corriger, pour tenir le registre de ses bonnes et mauvaises actions. » La fonction de miroir du journal se heurte toutefois au souci de l’image de soi qui y est donnée : il en résulte que les informations données par les diaristes sont filtrées, en fonction de logiques de justification. C’est ainsi que le journal personnel « nous donne à voir des femmes qui parfois mentent en croyant se dire ».

En fin de compte, l’examen des journaux personnels, sous cet angle, conduit principalement à constater la complexité de cette relation. Le contexte évoqué ci-dessus peut sembler très contraignant, mais ce n’est pas son seul caractère. « Pièce maîtresse d’un dispositif éducatif qui vise à former des mères catholiques modèles, la confession n’en est pas moins un espace de liberté dont les femmes catholiques du second XIXe siècle s’emparent, faisant de l’échange avec le confesseur un moment privilégié de confidence qui dépasse l’horizon traditionnel de l’aveu des péchés », conclut Caroline Muller.

Caroline Muller : « Ce que confessent les journaux intimes : un nouveau regard sur la confession (France, XIXe siècle) ». Circé. Histoires, Cultures et Sociétés, 2014.