Le photographe photographié : l’autoportait en France (1850 à 1914)

samedi 22 janvier 2005, par Corinne Pourtau

éditions Paris-Musées, 2004, Maison de Victor Hugo
(Exposition 2004-2005)

Technicien ? artisan ? artiste ? Si le photographe se prend pour sujet, c’est d’abord parce qu’il doit s’interroger sur son statut, définir une identité nouvelle face à une technique nouvelle. C’est en se photographiant « en photographe », comme les peintres se peignaient « en peintres », avec tous les attributs de leur profession que ces pionniers de l’imagerie argentique se donnent une légitimité. Avant les années 1880 et la mise au point du retardateur, la présence d’un opérateur derrière est nécessaire pour la prise de vue, même si la scénographie, l’étude de la lumière, la posture, la symbolique ont été orchestrées par celui qui pose devant.

En ce sens on a pu présenter Victor Hugo comme le premier écrivain à avoir pratiqué l’autoportrait photographique. Une quinzaine de ses portraits figurent en ouverture de l’exposition. Il n’a pas à proprement parlé “pris” ces photos, datant toutes de l’exil. Les opérateurs en sont son fils Charles et Auguste Vacquerie. Mais c’est Hugo lui-même qui s’est mis en scène. Intellectuel pensant, le front dans sa paume ; sombre exilé, le regard sondant ses propres abîmes ; hératique, une main dans son veston comme Napoléon ; romantique échevelé, perché au sommet du Rocher des Proscrits à Jersey, minuscule et fixant au-delà des mers la patrie perdue… Bref, « Victus sed Victor », Hugo le banni construit pour la postérité le mythe du grand Totor.

Plus modestement, nombre d’autoportraits de photographes ont été élaborés à des fins expérimentales. Il s’agit de prendre le premier cobaye que l’on a sous la main, soi-même, pour tester le nouveau procédé. D’une décennie à l’autre, le photographe se photographie pour témoigner des progrès d’une technique. Le nouveau medium offre de nouveaux champs d’action. On lui demande de valider une théorie, de baliser l’avancée d’une pratique scientifique ou médicale. L’autoportrait n’a pas valeur ici d’expression du Moi, il est auxiliaire des sciences.

Au-delà de son aspect utilitaire, la facilité de mise en œuvre a permis de renouveler le genre. Si l’on retrouve quelques grands classiques (reflet du photographe dans un coin de la composition, signature de l’artiste, l’autoportrait en costume oriental) la technique permet plus que la peinture de jouer avec son double. Double symbolique : Nadar et son frère font poser le mime Debureau en Pierrot photographe, Zola photographie ses propres livres auxquels il adjoint une photographie de lui à cinq ans. Double déformé, caricaturé : le photographe saisit son reflet sur une surface réfléchissante convexe ou concave, ou bien il effectue un photo-montage et greffe sa tête sur un petit corps lithographié. Double démultiplié : il se met en scène face à un miroir, ou sa tête sous le bras, en trois joueurs de cartes autour de la même table, en Janus, en jongleur dont les balles sont autant de fois son visage, en géant se penchant sur lui-même liliputien… Façon de démentir la froide objectivité supposée de la photographie et de détourner sa pseudo obligation de réalisme.

La présence de l’opérateur sur la photo n’est pas toujours volontaire : nombre d’amateurs mal éclairés, s’étant positionnés dos au soleil, ont imprimé leur ombre sur le sujet. Autoportraits involontaires, mais autoportraits tout de même. Ainsi ce cliché de nymphéas flottant sur la surface d’un étang où se dessine l’ombre portée d’une tête surmontée d’un chapeau… Mais oui, vous avez deviné, c’est lui, notre Claude, surpris par Phébus, en plein travail préparatoire.