Leïla Sebbar : Ma mère

mardi 10 décembre 2013, par Véronique Leroux-Hugon

Chèvre feuille étoilée Éditions, 2008

C’est Leïla Sebbar qui a commandé à 24 auteurs, fils de leur mère et de la Méditerranée, des textes inédits en brefs portraits-hommage à celles qui leur ont donné le jour sur l’une ou l’autre de ses rive entre 1930 et 1990, textes présentés par ordre alphabétique, précédés d’une photographie de la mère, et suivis d’une brève biobibliographie.

Cette entreprise collective rassemble des portraits aussi divers que les écrivains amis de l’éditrice : Juifs, Arabes, Algériens, Tunisiens , Marocains ou Français de « là-bas » peignent leurs mères d’une langue tantôt lyrique, tantôt ironique, parfois amusée, souvent mélancolique mais qui toujours mêlent comme il se doit mère, souvenirs d’enfance et souvenirs de celle qui les a engendrés, avec deux constantes, celle d’un respect profond teinté de nostalgie et l’évocation de rapports fusionnels, comme le souligne la préfacière.

Le premier échange verbal c’est celui avec la mère et l’on entend déjà chanter la langue avec ces prénoms : Maïma, Lella, Makami, Djamila, Zohra Rahma, Louise ou cette Afrancesada qui termine l’ouvrage. Il en est d’austères et d’autres chaleureuses, des analphabètes fascinées par le livre et par ceux que leurs fils écrivent, des plus lettrées fermes dans leurs convictions, débordantes de tendresse et/ou murées dans la dignité d’une difficile condition. Mais à toutes sans exception, ils disent leur amour filial en poètes, en témoins, non sans humour avec des bonheurs d’écriture qu’on aimerait citer intégralement. On sent qu’à cet exercice proposé par l’amie Leïla Sebbar, ils se sont pliés avec plaisir, la réticence du début cédant vite aux jeux du souvenir, parfois en faisant parler leur mère, longtemps après, magnétophone aidant ou en ravivant leur propre mémoire enfouie.

Admiration toujours pour celle qui « non contente de me la donner m’a appris la vie » (Ali Becheur) , ces héroïnes aux destinées variées dont le cours est rapidement esquissé dans un respect unanime pour ces parcours féminins.

L’Histoire n’est jamais loin qui a engendré pour tous un exil de l’une à l’autre rive, émigration obligée, départ brutal de l’Algérie indépendante, et tout le cortège des abandons, des arrachements au quotidien, des installations souvent douloureuses dans des murs peu accueillants, pour celles qui se sentent étrangères, arrachées aux beautés de leurs contrées natales qui persistent à maintenir le foyer, cet « igloo hors du temps dans lequel elle [me] préservait dans un état d’enfant sauvage.. » comme le dit plaisamment Magyd Cherfi . Lyrisme bien souvent, mais aussi humour et tendre dérision pour « cette diablesse qui nous tenait par le triptyque aliment-bises et baffes » ou la mère de Vincent Colonna qui lui fait complètement refaire sa copie du portrait, ou celle de Guy Sitbon « s’exhibant » en maillot noir. Émergent des silhouettes rigides ou des « images incertaines aux couleurs estompées » (Benamar Mediene). Alain Vircondelet pleure encore et toujours et sa mère et Alger, « notre Atlantide disparue et inconsolable », ce « goût amer d’un lieu à jamais perdu » dont tous ces hommes mûrs évoquent la saveur, chacun à leur manière. Si les photographies qui ouvrent l’évocation semblent figées dans un Noir & Blanc sévère, la beauté de ces mères demeure inaltérée.