Leïla Sebbar : Mon père, textes inédits recueillis par Leïla Sebbar

mercredi 4 juin 2008, par Françoise Lott

Éditions Chèvre-feuille étoilée, Montpellier, 2007

Des femmes écrivains, 31 exactement, ont été invitées par Leïla Sebbar, auteur en particulier, parmi de nombreuses œuvres, de Je ne parle pas la langue de mon père (2003), et Mes Algéries en France (2004), à donner en un court récit le portrait de leur père. Toutes sont viscéralement liées au Maghreb : Tunisie, Maroc, Algérie surtout. Aucun texte qui ne porte la douleur du conflit entre l’Algérie et la France, aucun qui n’associe la patrie au père ; lien qui est d’autant plus douloureux que bien souvent la patrie est perdue et le père mort.

Si on donne au mot « tombeau » sa signification littéraire, ce recueil est bien un « tombeau » qui célèbre la place imminente du père, qu’il soit musulman, juif, chrétien, laïc. Si celui-ci peut-être parfois despotique, il est celui le plus souvent qui a accordé « un soutien inébranlable » ou du moins donné à sa fille le sentiment d’être un être humain à part entière, dans des sociétés où c’est d’ordinaire le fils qui est privilégié. La voix du père s’est tue, disent-elles, mais le père, de son vivant déjà, était silencieux, mystérieux même : « La solitude de mon père est insondable », dit Annie Cohen, « Il était l’homme qui ne nous parlait pas », dit Tassadit Imache ; c’est encore celui dont on écoute le matin « une mélodie orientale chantonnée » dont on ne comprend pas les mots (Leïla Sebbar). Mais ces hommes qui ont souvent soupiré, pour détourner les questions : « c’est trop long. Trop long à dire, ma fille » (Zahia Rahmani), dont les filles ont hérité du tourment du déracinement, sont à la source de leur vocation et toutes, elles disent que l’écriture les a sauvées : « J’ai écrit. Les cris se sont tus » (Clémence Boulouque), « L’écriture, c’est mon sol » (Madeleine Laïk). Pour toutes, écrire, c’est rendre justice, se libérer, exister.

Ces récits sont ancrés dans une réalité historique et géographique, dans une recherche du salut ; nous sommes tous concernés. Et le lecteur que nous sommes, même s’il n’a pas, gravé dans sa chair et son cœur, la marque de tels évènements, est tenté de fermer le livre après chaque chapitre pour le reprendre un peu plus tard parce que, chaque fois, il se demande : « Et moi ? De mon père, qu’écrirais-je ? », parce qu’il sent qu’il n’y a pas d’autobiographie qui puisse contourner cette interrogation et que chercher à y répondre plonge dans une profonde rêverie.