Marc Petitjean : le coeur, Frida Kahlo à Paris

vendredi 7 août 2020, par Elisabeth Gillet-Perrot

Arléa, 2018

Dès la première page de ce livre passionnant, nous sommes dans le miracle : « Oscar, un écrivain mexicain dont je n’avais jamais entendu parler, m’a contacté, via internet pour une rencontre . Il a juste précisé que cela concernait mon père. J’étais intrigué car celui-ci est mort depuis plus de vingt ans ».

L’auteur découvre ainsi que Michel Petitjean, son père, a eu une relation amoureuse avec Frida Kahlo quand celle-ci est venue à Paris, de janvier à mars 1939. Une compensation au désagrément qu’elle a éprouvé en France, et qu’elle a fortement exprimé ?

Le livre évoque cette relation brève et confidentielle, mais intense, comme on l’imagine de la part de la personnalité exceptionnelle qu’est Frida, artiste, révolutionnaire et sur laquelle tant a déjà été écrit. De son côté, Michel Petitjean avait étudié les civilisations mexicaines pendant ses années passées au musée d’Ethnographie du Trocadéro (ancêtre du Musée de l’Homme) de 1932 à 1936, comme directeur adjoint du département d’Afrique noire. Il avait pour maîtresse attitrée Marie-Laure de Noailles, et il vivait dans son hôtel particulier où Frida a été reçue.

Au gré des rencontres, dans des allers-retours plus évènementiels que chronologiques, on croise des personnes du « beau monde », des artistes et des écrivains tels Picasso, Cocteau, Salvador Dali, Elsa Schiaparelli pour qui Elsa Triolet avait créé le collier « aspirine » fait de perles de porcelaines. Schiaparelli propose alors à Frida de dessiner une robe pour son corps abîmé à jamais par son terrible accident. Frida a noté dans un carnet un des « Douze commandements de la femme » édictés par Elsa Schiaparelli : « Ne jamais ajuster une robe à leur corps ; mais entraîner leur corps à aller avec la robe ». Beaucoup plus tard, en 2004, bien après la mort de son mari Diego Rivera on a retrouvé, avec les lettres de Michel, la garde-robe de Frida comprenant 168 ensembles. On sait qu’elle affirmait sa mexicanité en portant souvent la tenue traditionnelle des femmes de la région d’Oaxaca, une excentricité qui plaisait beaucoup à Michel Petitjean.

À Paris, Frida a rencontré Ramón Mercader, qui devait assassiner Trotski en 1940. Alias Jacques Mornard, alias Frank Jacson, le militant communiste espagnol devenu agent de la NKVD, la police secrète soviétique, avait infiltré les milieux trotskistes parisiens en quelques mois. Il espérait en séduisant Frida s’introduire dans la maison forte de Coyoacán, chez Diego et Frida, où résidait alors Trotski. Pendant le vernissage de l’exposition qui fera connaître Frida en France, il avait apporté un énorme bouquet de fleurs pour l’aborder. Méfiante, Frida avait répliqué qu’elle n’était pas la bonne personne pour lui faire rencontrer Trotski...

Le texte est enrichi d’illustrations (en noir et blanc), comme un dessin et une photo de Frida par Dora Maar, le tableau de Frida Le Cœur, qu’elle a offert à Michel et qui « a scellé leur idylle », et la photo d’un Autoportrait de Frida dédicacée à « Michel, todo mi corazón, Paris, 23 marzo 1939 ».

L’acmé est à la fin du récit quand Frida se décide à regagner le Mexique et son mari célèbre et infidèle, Diego Rivera. Michel et elle se quittent à contre-cœur.
L’auteur reproduit des lettres de Michel à Frida datées du 24 et du 29 mars 1939 ainsi qu’un Radio-Télégramme à Madame Rivera. Passager Normandie… Elle répond le jour même : "Je pense à toi, avec tendresse".