Marcel Blanchet : Des tranchées de 14 à la table des vivants

mardi 26 novembre 2019, par Denis Dabbadie

présenté par Danièle Corre, éd. Edhisto

Toute inondation fait remonter en surface des choses insoupçonnées – notre mémoire aussi connaît ses hautes et ses basses eaux…
À la faveur (!) d’une crue de l’Yonne (« l’enfant terrible de la Seine », aimait à rappeler ma grand-mère, originaire de ce pays), Danièle Corre descend dans sa cave sinistrée, et découvre dans un carton tout imbibé, au milieu de vieilles factures et de registres de comptes, « un petit cahier d’écolier à la couverture quadrillée bleue avec en haut à gauche ton écriture ˮmon carnet de route de la guerre de 14ˮ ». Elle s’adresse ici à son grand-père. Aïeul sauvé des eaux ? Non, il reste pour toujours dans le cœur de Danièle. Mais il n’avait jamais fait mention de ce carnet. Oublié ? « C’est peu probable car, apparemment, tu avais recopié tes phrases au stylo-bille, ce qui les sauve ».

Ce même cahier n’avait-il pas sauvé déjà son auteur dans l’enfer des tranchées ? « On ne parlera jamais assez des bienfaits de l’écriture. Elle t’a permis à toi, cher grand-papa, de tenir debout dans les jours les plus cruels, toi qui n’étais pas habitué à ce genre d’expression ». Marcel Blanchet, né en 1888, fils de boulanger, est devenu pâtissier (« la pâtisserie, c’est l’aristocratie de la pâte »). En 1914, il est marié et père d’un fils de dix mois. Le cahier s’ouvre le 2 août. Ses notes sont purement factuelles, mais les faits parlent d’eux-mêmes : formations de combat ou « vol de perdreaux », pluies torrentielles, mais aussi déluges d’obus…
Rescapé de Montfaucon, Marcel Blanchet doit la vie à une baïonnette qui, lors d’un énième corps-à-corps, a refusé de se fixer au fusil : le 21 septembre, il est fait prisonnier. Il finira la guerre en Bavière. Le 28 décembre, « … fouille, je ne sais pourquoi le soldat chargé de moi regarde dans mes chaussettes – cravate – dans le derrière – et dans la bouche – je crois qu’ils cherchent des pièces d’or – les miennes étaient cachées dans la cuisine. » Danièle s’interroge : « À quel moment as-tu pu ajouter cette dernière précision, avec le risque qu’elle comporte pour les pièces d’or, si tu es toujours dans ce même lieu ? Au journal s’attache parfois ainsi une impression de relecture et de complément par toi ».

Tout l’ouvrage (abondamment illustré) se présente ainsi comme un dialogue entre le grand-père adoré et la petite-fille, sa « princesse », dont la lecture ne manque jamais, on le voit, de lucidité attentive et attentionnée. Inébranlable est sa foi en l’écrit : jusqu’à lui faire signer, en 1972, une promesse d’achat d’un pantalon neuf : « Tu t’engageais à cet achat pour ton quatre-vingt-dixième anniversaire. Sur présentation du papier, tu t’exécutas en riant. Salut camarade ! »
Cette dernière exclamation était la façon qu’avait la petite-fille de s’adresser, le matin, à son grand-père. Toute camaraderie est salutaire et salvatrice.

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